En août 2020, le Liban célèbre les 100 ans de son existence. Le président Michel Aoun (depuis 2016), contesté par une large partie de la population, déclare : « Bien que ce premier centenaire ait connu des périodes de prospérité et de renaissance économique, culturelle et institutionnelle, il fut cependant chargé de difficultés, de crises et de guerres. […] Aujourd’hui, le Liban est face à une crise sans précédent. Des décennies d’accumulation d’erreurs ont fini par exploser, et ce dans tous les domaines, politiques, économiques, financiers, sociaux. » Ce discours reflète l’impuissance du chef de l’État face à la profonde crise politique et fait le bilan amer d’un siècle d’existence ponctuée de conflits. Comment en est-on arrivé là ?
Créé par la Société des Nations (SDN) sur les ruines de l’Empire ottoman, le Liban est une démocratie consensuelle avec un régime confessionnel. Pendant longtemps, ce système politique est érigé comme un modèle du « vivre-ensemble », tant que la balance démographique – basée sur le recensement réalisé en 1932, le dernier en date – reste équilibrée. Lorsque le mandat se termine en 1943, la Constitution de 1926 rédigée par les autorités françaises est maintenue et les nouveaux pères de l’indépendance, le président chrétien maronite Béchara el-Khoury (1943-1952) et le Premier ministre musulman sunnite Riad el-Solh (1943-1945 et 1946-1951), se font le serment oralement de garder cette formule.
La même année, le Pacte national pose les bases d’un Liban indépendant avec une distribution des postes politiques et administratifs en fonction des croyances religieuses. Cet accord scellé à la naissance de la république assure la garantie du maintien du droit personnel des communautés, de la gestion des pouvoirs selon les confessions et de la double appartenance du Liban à son environnement arabe et à son passé qui le lie à l’Occident, notamment à la France. Mais le Liban ne tarde pas à s’enliser dans les divisions communautaires pour exploser en 1975 avec le déclenchement de la guerre civile. Les accords de Taëf (Arabie saoudite) signés en 1989 marquent la fin de celle-ci ; supposés reformuler la vie politique, ils ne font que revêtir d’habits neufs le confessionnalisme.
Aux racines de la violence
Officiellement terminée en 1989, la guerre est cependant bien présente avec la division du pays en deux gouvernements : celui du général des armées Michel Aoun, président intérimaire du Conseil des ministres nommé par Amine Gemayel (1982-1988) avant la fin de son mandat, et l’exécutif du Premier ministre Salim el-Hoss, proche des Syriens et signataire de Taëf. Michel Aoun lance la même année une guerre qu’il appelle « Libération nationale » contre la présence militaire syrienne et s’attaque aux milices chrétiennes des Forces libanaises. En octobre 1990, vaincu, il dépose les armes et s’exile en France. Le Liban entre alors dans la période de « Pax syriana », durant laquelle la dynastie Al-Assad mène le jeu politique libanais et les anciens chefs de milices intègrent la vie démocratique. Ils occupent des postes clés dans l’État : ils sont députés, ministres ou présidents de la Chambre des députés, à l’instar de Nabih Berri, en fonction à ce poste depuis 1992. Ils se partagent le pouvoir comme ils le faisaient en temps de guerre : démarquant chacun son territoire, avec leurs fiefs, leurs chasses-gardées et leur butin.
La période post-guerre est aussi celle de la reconstruction avec l’arrivée de l’homme fort des Saoudiens, le Premier ministre Rafic Hariri. Dès son installation au gouvernement en 1992, il opte pour une politique néolibérale, n’hésitant pas à privatiser le centre-ville de Beyrouth pour créer la Société libanaise pour le développement et la reconstruction (Solidere), et nomme, en 1993, Riad Salamé à la tête de la Banque centrale (1). Gêné par la présence pesante syrienne (militaire et politique) sur le sol libanais et par le pouvoir croissant des armes du Hezbollah, Rafic Hariri, avec l’aide des Américains, s’oppose en 2004 à la réélection du président Émile Lahoud (1998-2007), qui soutient la politique d’ingérence syrienne au Liban. Afin d’éviter une escalade armée dans la région, la France, guidée par une initiative du président Jacques Chirac (1995-2007), ami de longue date de Rafic Hariri, propose la résolution 1559, adoptée le 2 septembre 2004 par le Conseil de sécurité de l’ONU.