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Les enjeux technologiques post-hydrocarbures

Au-delà de cet enjeu politico-financier, se pose dans ce contexte la question d’une capacité industrielle française et européenne qui apparaît relativement limitée face au mastodonte chinois. Si l’industrie éolienne germano-danoise — Siemens, premier acteur européen, s’est développé par achat d’entreprises danoises dans les années 2000 — dispose d’une belle marge de croissance, notamment avec la volonté de l’Union européenne de développer massivement l’éolien offshore, il faut noter que la Chine, malgré l’éclatement du secteur des renouvelables en de multiples entreprises, demeure l’acteur central en termes économiques. Cette situation est encore plus criante dans le solaire photovoltaïque, où les acteurs européens sont bien moins puissants à l’échelle internationale que leurs contreparties chinoises, faisant de Pékin — malgré son empreinte carbone — le champion industriel mondial des énergies renouvelables. Alors que l’innovation dans ce domaine apparaît assez limitée depuis quelques années, en lien avec les tâtonnements sur les énergies marines renouvelables (hydrolien, osmotique, etc.), le secteur est poussé par la massification des ventes de systèmes éprouvés. Le risque est donc ici avant tout géoéconomique pour l’Europe, de voir la Chine écraser le marché mondial par un effet de masse. En outre, cette situation est également favorisée par la capacité de Pékin de sécuriser de nombreux flux de matières premières nécessaires à la construction de ces mêmes équipements d’énergies renouvelables. Contrairement à une idée trop répandue, la question des terres rares est marginale en ce domaine et il importe de s’intéresser aux métaux plus communs comme le nickel ou le cuivre, qui sont aujourd’hui fortement en tension, en lien avec cette électrification du monde. La vision de la chaîne de valeur industrielle de la mine à la centrale qui est particulièrement bien prise en compte en Chine, fait le plus souvent défaut aux acteurs européens, notamment au plan politique, le plus souvent par méconnaissance des enjeux industriels profonds (2).

Panneaux solaires : l’ultra-domination chinoise

Au-delà des énergies renouvelables qui concentrent l’attention de la plupart des acteurs européens, à commencer par les instances communautaires, il importe de ne pas oublier la renaissance nucléaire en cours depuis quelques années. La mise au point de nouveaux modèles de réacteurs, plus petits, voire pensés dès leur conception dans l’optique de la modularité (SMR pour small modular reactor), ouvre de nouvelles possibilités pour le nucléaire. 

Avec des réacteurs de moins de 300 MW à l’unité — définition d’un SMR selon l’Agence internationale de l’énergie atomique —, il est envisageable d’installer des réacteurs pour des usages industriels autres que la production électrique de masse : dessalement d’eau de mer, cogénération d’électricité et de chaleur, production d’hydrogène décarboné, voire, pour les réacteurs les plus petits — moins de 10 MW —, exploration spatiale et production électrique d’appoint. La Russie, la Chine, les États-Unis et d’autres pays (Canada, Royaume-Uni) se sont lancés dans cette course aux SMR que la France et l’Europe ont considérés très tard, malgré tout l’intérêt de ces réacteurs. Outre la question de la taille, se pose aussi celle du paradigme de production, avec la promesse des réacteurs de 4e génération à neutrons rapides qui pourront fonctionner en cycle fermé, à savoir sans produire de déchets de longue vie. Ici aussi, la Russie et la Chine sont en pointe, avec le besoin très fort de la part des pays de l’espace euro-atlantique de se lancer enfin dans cette course, au risque de rater un nouveau virage énergétique. Toutefois, cette question de l’électrification, même si elle se répand dans de nombreux secteurs, ne pourra résoudre l’ensemble de l’équation post-hydrocarbures. 

Biomasse, hydrogène : l’avenir des carburants ? 

Si l’électrification apparaît aujourd’hui comme l’enjeu majeur pour l’Europe, elle ne pourra à elle seule résoudre l’ensemble de l’équation énergétique, ne serait-ce que par l’ampleur de l’effort à consentir. À l’heure actuelle, le taux moyen d’électrification dans l’énergie en Europe est de 22 % des usages finaux, un doublement de cette part à l’horizon 2050 serait déjà une avancée colossale. Se pose ainsi la question de la substitution des hydrocarbures pour d’autres usages, transports et habitat notamment, pour lesquels des solutions non-électriques doivent être envisagées. L’une d’entre elles est le recours aux bioénergies, qu’il s’agisse des biocarburants — préférablement ceux de 2e génération, qui utilisent des rebuts agricoles comme la bagasse de canne à sucre — ou du biogaz agricole. 

Toutefois, la question de la biomasse ne doit pas servir de prétexte à une décarbonation de façade, comme cela arrive parfois. La conversion d’une centrale à charbon en centrale à biomasse — utilisant par exemple des résidus forestiers ou des billes de bois — ne peut ainsi être environnementalement vertueuse, si cette même biomasse est importée depuis un autre continent, comme c’est le cas pour la centrale de Drax, au Royaume-Uni. La question de la chaîne de valeur se pose ici encore, avec une acuité relativement importante eu égard à l’impact environnemental du transport maritime concerné. À ce titre, les bioénergies apparaissent bien plus développées de l’autre côté de l’Atlantique, aux États-Unis ou au Brésil, avec une prise en compte dans ces pays des enjeux des biocarburants depuis plusieurs décennies. Le retard européen, sur ce domaine comme sur d’autres, risque d’être alourdi par une règlementation parfois contradictoire qui cherche à développer les bioénergies mais en limitant drastiquement les surfaces dédiées et en bannissant les moteurs thermiques à l’horizon de quelques années. La question de la cohérence entre les politiques, les financements accordés et les ambitions climatiques se pose, alors que la France et l’Europe multiplient les déclarations en faveur de l’ensemble des technologies énergétiques émergentes sans jamais faire de choix clair.

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