Le 5 décembre 2022, le V‑280 Valor proposé par Bell et Lockheed Martin a été officiellement choisi par l’US Army afin de remplacer sa gigantesque flotte d’hélicoptères UH‑60 Black Hawk, éliminant de fait l’offre concurrente de Sikorsky et Boeing. Si ce choix marque le retour de Bell en tant que principal fournisseur d’aéronefs d’assaut de l’Army, après quatre décennies de domination de Sikorsky, il confirme également le choix stratégique de la technologie des rotors basculants, que le Département de la Défense américain semble définitivement préférer à celle – plus conservatrice – de l’hélicoptère hybride. Un choix qui pourrait redéfinir en profondeur aussi bien la doctrine d’emploi de l’US Army que le marché mondial des hélicoptères de combat.
Le V‑280 Valor, qui a effectué son premier vol en 2017, est développé par Bell, qui s’est associé à Lockheed Martin pour le proposer au Département de la Défense (DoD) dans le cadre du programme FVL (Future vertical lift), lancé à la fin des années 2000 afin de remplacer l’ensemble des hélicoptères militaires américains. Initialement conçu comme un démonstrateur technologique, le Valor répond plus particulièrement aux besoins de remplacement de quelque 2 000 exemplaires du vénérable Black Hawk, exprimés conjointement en 2019 par l’US Army et l’US Marine Corps dans le cadre du programme FLRAA (Future long-range assault aircraft), lui-même intégré au FVL.
En tant qu’aéronef convertible, le Valor présente une large voilure aux extrémités de laquelle se trouvent deux rotors basculants, qui lui permettent de voler verticalement comme un hélicoptère lorsqu’ils sont orientés vers le haut, mais aussi d’évoluer à la vitesse et à l’altitude d’un avion lorsqu’ils sont basculés vers l’avant. Là où Sikorsky et Boeing, avec leur SB‑1 Defiant, ont cherché à pousser à son paroxysme le principe de l’hélicoptère, l’architecture convertible du Valor s’éloigne bien plus largement de celle des hélicoptères conventionnels. À la clé, la promesse d’une vitesse et d’une autonomie au combat quasi doublées, même en altitude et par temps chaud, le tout en emportant plus de charge que son prédécesseur. Des propos qui ne sont pas sans rappeler ceux tenus il y a plus de vingt ans à propos du seul appareil convertible aujourd’hui en service, le Bell-Boeing V‑22 Osprey.
Les Marines en pointe sur les convertibles
Le prototype du V‑22 a effectué son premier vol en 1989. En configuration opérationnelle, c’est un appareil de la classe des 25 t qui emporte deux douzaines de soldats en armes. Avec une vitesse de croisière dépassant les 500 km/h et une autonomie au combat de 720 km, il est deux fois plus rapide et endurant que la plupart des hélicoptères de manœuvre. Derrière ces performances exceptionnelles se cache cependant un programme très critiqué à cause de plusieurs accidents (parfois fatals) et de scandales politiques durant son développement.
Avant même son premier vol, l’Army avait rejeté l’appareil, surdimensionné pour son format d’escouade, trop léger pour réellement remplacer le CH‑47 Chinook, et finalement peu adapté aux opérations intrathéâtres. Étant conçu pour transporter vers des théâtres d’opérations plutôt qu’au sein de ces derniers, le V‑22 Osprey est donc plutôt taillé sur mesure pour le corps des Marines, une force expéditionnaire qui met en œuvre des escouades plus imposantes et qui doit pouvoir réaliser des rotations lointaines et rapides à partir de bases projetées ou de navires amphibies. Si l’US Air Force s’est doté d’une cinquantaine de CV‑22 pour ses opérations de sauvetage au combat et ses opérations spéciales, et que la Navy s’est équipée de quelques dizaines de CMV‑22B pour des missions de transport vers et depuis ses porte-avions, ce sont bien les Marines qui représentent le gros de la flotte américaine d’Osprey, avec plus de 360 MV‑22 en dotation. Après une phase délicate de prise en main, l’appareil a été rapidement plébiscité par ses équipages, ses passagers et surtout par les planificateurs des Marines, qui peuvent désormais couvrir l’ensemble d’un théâtre opérationnel à partir d’une unique base aérienne, là où le CH‑46 imposait des déploiements multiples, ou au minimum de nombreuses zones avancées de ravitaillement.
Avec le retrait progressif d’Afghanistan et d’Irak, et la réorientation de la doctrine des Marines vers les opérations amphibies dans le Pacifique, le MV‑22 renoue désormais pleinement avec ses missions d’origine. Face à une menace chinoise grandissante, les convertibles des Marines sont destinés à jouer un rôle majeur dans les dispositifs de déploiements avancés et dans les tactiques de contournement des bulles A2/AD chinoises. Malheureusement, si la formule du convertible présente des avantages indéniables, la cellule de base du V‑22, complexe, lourde et coûteuse, s’avère peu adaptée à une généralisation du concept, que ce soit chez les Marines qui cherchent à se doter de bâtiments amphibies de plus petit tonnage, ou dans l’Army qui souhaite des aéronefs légers plus souples et d’emploi plus simple.