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Afghanistan : une république en faillite face à la victoire des talibans

Début 2021, le contrôle du territoire afghan était déjà partagé entre les talibans et le gouvernement central. La décision des États-Unis de retirer leurs forces impliqua un statu quo fragile en faveur des insurgés. Au cours de l’été, ils ont conquis le pays district par district, avant d’atteindre Kaboul le 15 août, obligeant le président Ashraf Ghani (2014-2021) à fuir. Si le flou perdure sur les modes de gouvernance de l’émirat islamique proclamé, que pouvons-nous attendre des talibans alors que leur terrible régime de 1996-2001 reste dans les mémoires (1) ?

Le désir du président des États-Unis, Donald Trump (2017-2021), et de son émissaire pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, de voir les troupes américaines quitter le pays et d’avoir une sorte de contrat avec les talibans a conduit le diplomate à accepter la demande des insurgés d’exclure les autorités de Kaboul des négociations. En février 2020, à Doha (Qatar), il signa ce qui était en fait une entente sur le départ des soldats américains. Entre octobre 2001 et août 2021, plus de 800 000 ont servi en Afghanistan, où 2 465 sont morts et 20 700 ont été blessés, et période durant laquelle les Départements d’État et de la Défense ont dépensé 72,7 milliards de dollars en aides militaires (2). Les talibans gagnaient ainsi le retrait de leurs ennemis du champ de bataille, tandis que Washington n’obtenait que la perspective de pouvoir retirer ses troupes en toute sécurité, une promesse de discussions intra-afghanes et de vagues assurances sur la place d’Al-Qaïda dans un futur Afghanistan. Ce faisant, les États-Unis légitimaient les talibans sur la scène mondiale.

Le départ désordonné des Américains

L’insistance américaine à accélérer le « processus de paix » a conduit à ébranler les Forces nationales de sécurité afghanes (ANSF, en anglais) (3) et l’administration de Kaboul, et à renforcer les talibans. Cela consistait aussi à obliger Ashraf Ghani à libérer 5 000 insurgés emprisonnés, comme l’avaient promis les États-Unis. En réponse aux protestations du gouvernement afghan, le secrétaire d’État Mike Pompeo (2018-2021) a même menacé de suspendre l’aide financière si le président n’obtempérait pas. L’ANSF a également reçu l’ordre d’adopter une posture de « défense active » : seules des frappes préventives contre les talibans étaient autorisées, pas les offensives. Ces mesures visaient à créer une atmosphère propice aux pourparlers, mais leur principal effet a été de renforcer la confiance des talibans, tout en sapant le moral des forces gouvernementales.

Quand, en avril 2021, le président nouvellement élu Joe Biden a annoncé que les troupes américaines seraient retirées rapidement et sans condition, il n’y avait aucun plan pour mener les diverses tâches complexes que le personnel américain faisait à la place de l’ANSF, comme la maintenance des aéronefs. La coordination entre le Pentagone, l’armée et leurs homologues afghans est restée pauvre tout au long du retrait. Par exemple, les Américains n’ont communiqué au gouvernement de Kaboul leur départ de la base de Bagram, sans soute la plus importante du pays, que le 6 juillet 2021.

Si le manque de coordination envoyait le message que les États-Unis se souciaient davantage de leurs ennemis que de leurs alliés, de nombreux rapports américains insistaient sur les faiblesses de la république afghane. Ironiquement, l’armée américaine n’avait pas joué de rôle aussi important dans le conflit depuis longtemps, et son départ brutal allait avoir une place centrale. Son retrait insinuait que l’ANSF n’avait pas la capacité de vaincre. Zalmay Khalilzad avait tout misé sur le fait que les insurgés voulaient véritablement négocier ; il n’a jamais eu de « plan B » si ces derniers se lançaient à la conquête totale du pays.

Les dirigeants afghans et l’appareil sécuritaire avaient l’habitude de recevoir le soutien des Américains et de la communauté internationale depuis deux décennies. Ces années étaient vues comme la possibilité de gagner de l’argent en détournant cette aide, notamment au sein de la Police nationale afghane (ANP, en anglais). Ainsi, cette dernière apparaît telle une organisation à « double usage », axée sur la sécurité, mais impliquée dans la criminalité. Demander de l’argent pour des nominations, mettre en place des contrats et des emplois fictifs…, ces pratiques ont concerné l’ANP, mais aussi les ministères de l’Intérieur et de la Défense et, dans une moindre mesure, l’Armée nationale afghane (ANA).

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