S’appuyant sur des années de politique anti-Kremlin, la Pologne est dans une position unique pour tirer parti du conflit en Ukraine et devenir un acteur majeur d’Europe centrale et orientale. Cependant, à l’approche d’élections législatives importantes, les forces politiques polonaises seront confrontées à un nouveau défi, celui de rivaliser pour la domination dans l’ombre de la guerre.
Avec la réémergence de la Russie en tant que menace pour la sécurité européenne et sa nouvelle invasion de l’Ukraine, la Pologne est à nouveau placée dans son rôle pérenne d’antemurale, ou première ligne de défense, pour l’Europe occidentale.
Pourquoi la Pologne avait raison au sujet de la Russie ?
Au cours des quelque trente années qui se sont écoulées depuis la dissolution du pacte de Varsovie, la Pologne a entretenu des liens très ténus avec la Russie et n’a fait que de brèves tentatives de rapprochement significatif. Les relations continuant à se détériorer au milieu des années 2000, la Pologne a commencé à s’affirmer comme l’un des critiques les plus virulents du Kremlin au sein de l’Union européenne (UE) et de l’OTAN. La récente escalade et la reprise de l’agression russe en Ukraine ont confirmé cette position et donné de la crédibilité à des années de politique étrangère polonaise. Le gouvernement polonais actuel, dirigé par le parti Droit et Justice (PiS), résolument anti-Kremlin, semble être un bénéficiaire clé de ce tournant géopolitique, capitalisant sur une réponse préparée avec succès à l’agression russe dans la région.
En 2022, le Pew Research Center a estimé que plus de 90 % (2) des Polonais avaient une opinion négative de la Russie, mais cela ne représente qu’un pic dans les attitudes majoritairement négatives à l’égard de la Russie depuis le début du sondage en 2007. La prédominance des attitudes négatives à l’égard de la Russie et du Kremlin, observée dans l’espace social polonais, est le fruit d’une longue histoire d’impérialisme et d’occupation russes. Au XIXe siècle, cette histoire remonte à la période du « partage » de la Pologne, au cours de laquelle environ un tiers du territoire polonais actuel, y compris Varsovie, était contrôlé par l’État russe. Au XXe siècle, les souvenirs du pacte Molotov-Ribbentrop et de l’imposition du régime communiste par l’Union soviétique après la Seconde Guerre mondiale sont peut-être les plus pertinents pour expliquer les attitudes actuelles de la société polonaise.
Cette histoire conflictuelle est devenue une facette de la politique polonaise, de plus en plus incontournable au cours des dix à quinze dernières années. Dès 2008, à la suite de l’agression de la Russie contre la Géorgie, le président polonais Lech Kaczynski avait déclaré : « Aujourd’hui la Géorgie, demain l’Ukraine, après-demain les États baltes, et peut-être que le temps viendra pour mon pays, la Pologne », des mots qui ont pris un sens nouveau à la lumière des événements actuels.
Le 10 avril 2010, la « catastrophe de Smolensk » a marqué un tournant dans l’attitude actuelle de la Pologne à l’égard de la Russie. Dans cette saga encore non résolue, Lech Kaczynski, frère de l’actuel leader du parti PiS, Jaroslaw Kaczynski, ainsi que de nombreux hauts fonctionnaires polonais (96 personnes au total) ont été tués dans un accident d’avion alors qu’ils se rendaient à la commémoration du « massacre de Katyn », à l’extérieur de la ville russe de Smolensk. Cette tragédie nationale a laissé de nombreuses questions sans réponse et a joué un rôle déterminant dans le programme politique du parti PiS. Des enquêtes sanctionnées par le gouvernement sur le rôle de la Russie dans les distorsions sont toujours en cours.
En 2015, peu après l’invasion initiale de la Crimée par la Russie, le parti de droite PiS a pris le contrôle total du gouvernement polonais, remportant à la fois le pouvoir législatif et la présidence. Cette victoire sans précédent du parti a fini par définir l’agenda politique de la Pologne, ainsi que son approche de la Russie et de l’Ukraine post Maïdan. En conséquence, le gouvernement polonais a adopté une approche proactive pour contrer l’influence russe dans la région, ce qui explique également les critiques de la Pologne à l’égard du projet Nord Stream II et son soutien à une présence plus forte de l’OTAN dans le pays.