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La Chine au Vanuatu : l’aide au développement en l’absence de dialogue culturel

Cette démarcation fondamentale entre un mode de vie occidental et des valeurs autochtones s’est cristallisée autour d’une affirmation de la coutume (kastom en bislama, le pidjin créolisé de Vanuatu), une notion aussi vague que mystérieuse, mais ayant l’avantage d’être englobante. Au sens large du terme, kastom renvoie à tout ce qui distinguerait Mélanésiens et Européens. Au cours de la première décennie d’indépendance, l’idéologie du « socialisme mélanésien » fut promue pour assurer un développement économique culturellement maîtrisé. À partir des années 1990, le tournant néolibéral qui toucha Vanuatu amena les autorités à considérer la kastom comme une ressource culturelle, susceptible de favoriser le développement. Avec la fin des années 1990, précédant de peu l’appel à un nouvel ordre mondial, des experts australiens envisagèrent la kastom comme un obstacle au développement, pour des pays mélanésiens situés suivant la même rhétorique sur un arc géopolitique d’instabilité.

Un rapprochement avec la Chine

C’est dans ce contexte qu’il convient d’analyser, au-delà d’une remarquable stabilité des relations diplomatiques entre Vanuatu et la Chine, l’intensification de l’aide apportée par cette dernière parallèlement à un accroissement régulier de l’installation de ses ressortissants dans cet archipel. Les Vanuatais font toujours la différence entre les « vieux Chinois », une poignée de familles historiques arrivées dans la deuxième partie du XIXe siècle pour les plus anciennes — devenues francophones et catholiques au cours de la période coloniale — et la masse des nouveaux migrants de la même origine qui les a suivies depuis la fin des années 1980. L’ancienneté de ce flux migratoire a pu encourager, dès les premiers mois de l’indépendance de Vanuatu, l’établissement de liens diplomatiques avec la Chine, qui n’ont jamais cessé de se renforcer.

Une ambassade de Chine fut inaugurée à Port-Vila en 1989, avant que n’ouvre à Shanghai, un consulat en 1999 puis une ambassade de Vanuatu en 2005, date à laquelle l’aide publique chinoise au développement connaît une véritable envolée, venant concurrencer dans la région celles des deux principaux donataires, l’Australie et les États-Unis. À la communication des montants de son soutien économique et social à Vanuatu, de ses dons, de ses prêts et investissements, la Chine privilégie la visibilité de ses actions. À commencer par une politique de grands travaux : la construction du Parlement, du bureau du Premier ministre, du stade Korman, du collège Malapoa, du collège agricole Santo, de l’extension du campus Emalus de l’University of South Pacific, du quai international de Luganville, du Centre de Convention de Port-Vila, de la construction de routes dans les îles de Tanna et de Malekula. Ces investissements s’accompagnent d’aides matérielles substantielles dans les secteurs de la santé, de l’humanitaire, de l’éducation, des transports, des télécommunications et autres équipements industriels. Enfin, plus de 40 % des importations de produits manufacturés proviennent de Chine.

La mauvaise presse du made in China et préjugés

Si la quantité des productions chinoises est reconnue, leur qualité est systématiquement critiquée, qu’il s’agisse des produits alimentaires, des marchandises contrefaites, des machines et véhicules défectueux ou du vieillissement accéléré des infrastructures, pour celles du moins auxquelles est reconnue une utilité publique. La longue liste de ces plaintes n’a d’égal que les sentiments négatifs massivement exprimés par la population envers les quelques milliers de migrants chinois installés dans l’archipel depuis les années 1990, principalement dans les deux villes du pays, Port-Vila à Efaté et Luganville à Santo.

Originaires pour la plupart de la province du Fujian, leur nombre exact n’a jamais été communiqué. Migrants souvent transitoires, leur objectif n’est pas de s’implanter mais de rejoindre des pays plus développés de la région. Leurs petits entrepreneurs se sont emparés du quasi-monopole du commerce de détail en milieu urbain et leurs travailleurs concurrencent les locaux dans le secteur de la construction. Régulièrement soupçonnés de corrompre les autorités, ces Chinois sont vus comme des incroyants, qui auraient l’appât du gain pour seule religion. Ces préjugés frisent fréquemment l’expression d’un racisme ordinaire, même si les sentiments d’hostilité qui en découlent n’ont jamais abouti à des émeutes antichinoises, comme celles qu’ont connues des pays voisins ces dernières années (Papouasie-Nouvelle-Guinée, îles Salomon, Tonga).

L’aide apportée par la Chine à la modernisation du pays est formulée en termes de réduction de la pauvreté et de partenariat stratégique réciproque. En comparaison des pratiques d’autres pays donataires, elle ne s’accompagne d’aucune exigence d’ordre éthique ni d’influences sur un modèle culturel à suivre. Le type de développement proposé pourrait s’apparenter à une modernisation sans sinisation. L’essor de la Chine à Vanuatu se voit néanmoins freiné par ses propres ressortissants. Plus encore qu’aux Occidentaux, c’est leur non-assimilation et leur non-enracinement qui leur est reproché. Leur manque de considération pour la kastom rend invisible leur propre culture. Le constat d’une distance culturelle et l’absence d’un dialogue pour favoriser un rapprochement social demeurent certainement les principaux obstacles à l’essor de l’aide et de la présence chinoise à Vanuatu.

Article paru dans la revue Diplomatie n°115, « Algérie / Maroc : vers un inévitable affrontement ? », Mai – Juin 2022.
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