Dans le cadre du projet pédagogique et de recherche en ludopédagogie EdUTeam (1) mené à l’Institut de recherche en gestion (IRG, EA 2354), nous avons implémenté depuis 2018 des wargames sur table dans trois enseignements de management : management opérationnel, retour d’expérience et gestion de projets de systèmes d’information.
En parallèle, nous avons souhaité faire découvrir ces jeux à un maximum d’étudiants. Dans cet article, nous proposons de faire une synthèse de l’ensemble de ces activités de wargaming afin de démontrer l’intérêt de ce type de jeu dans des formations universitaires qui n’ont pas de liens directs avec le domaine militaire ou historique. Quatre témoignages d’étudiants agrémentent également cet article.
Les compétences managériales associées au wargaming
Si les wargames sont utilisés à des fins de formation et d’entraînement pour développer des aptitudes militaires et historiques, il est aisé d’identifier dans la littérature académique des compétences pertinentes pour des étudiants en management. John Curry parle par exemple de prise de décision, d’agilité cognitive, de team building en amont de crise, de gestion de la complexité, etc. (2) La définition même d’un wargame selon Peter Perla introduit également des concepts managériaux importants, comme la prise de décision et le changement : « Un wargame est un modèle d’environnement synthétique compétitif ou conflictuel dans lequel les participants prennent des décisions, constatent leurs effets sur cet environnement puis doivent réagir à ces changements. (3) » Enfin, Philip Sabin cite dans un texte récent (4) les mots d’introduction du Wargaming Handbook anglais : « Le wargaming est un outil puissant. Je suis convaincu qu’il peut apporter une meilleure compréhension et pensée critique, de la prospective, des prises de décision plus éclairées et de l’innovation. […] Il permet aux participants d’expérimenter et d’apprendre de leurs expériences dans un contexte garantissant le droit à l’erreur. (5) » En France, on retrouve ces mêmes constatations. Par exemple, Guillaume Levasseur indique que « la plus-value du wargame historique vise à mettre le joueur dans la peau d’un commandeur qui sentira davantage les dilemmes qui ont pu pousser tel chef à prendre telles décisions. Sans attacher trop d’importance aux résultats d’un jeu, qui ne pourront jamais restituer la réalité, le simple fait de percevoir les paramètres de façon active enrichit le bagage de tactique générale et stratégique du joueur. (6) » Antoine Bourguilleau, quant à lui, rappelle que le jeu « permet de placer les participants dans des situations changeantes et variées et de tirer ensuite des conclusions de leurs actions (surtout de leurs erreurs), une opportunité que la vie réelle offre rarement (7) ». Enfin, il est intéressant de noter que Stéphane Goria et Philippe Hardy commencent un article sur les wargames sans même aborder de notions militaires : « Le wargame est un outil de réflexion qui emploie des techniques créatives pour stimuler l’imagination des décideurs et des analystes dans un but d’identification des opportunités et menaces. Son objet est de permettre à ses joueurs de recréer des situations spécifiques et, plus important encore, d’être capable d’explorer ce qui aurait pu se passer. (8) » Ce rapide et succinct tour d’horizon montre que ce n’est pas la modélisation réaliste du wargame qui nous intéresse ici, mais bien la dynamique intercréative qu’il peut générer et, par conséquent, la mobilisation de connaissances et de compétences managériales sous-jacentes à toute activité professionnelle collective. Le wargame devient alors un générateur de situations de gestion qui peuvent s’analyser et s’étudier dans le contexte d’enseignements de management.
Les wargames comme outil de formation au management
Depuis la parution de notre premier article en 2018 (9), les usages des wargames dans plusieurs cours de management se sont institués avec succès. Les travaux de recherche de l’équipe du projet EdUTeam s’intéressent depuis 2016 au détournement de jeux de loisirs à des fins de formation. Cette idée provient notamment de dispositifs conçus dans l’armée de Terre où des jeux vidéo du commerce grand public sont mis en œuvre depuis près de vingt ans (comme Microsoft Flight Simulator dans l’aviation légère de l’armée de Terre ou, plus récemment, VBS, évolution professionnelle d’ArmA, dans toute l’armée de Terre (10)). Au-delà de l’intérêt financier évident pour une structure de formation qui n’a pas forcément les budgets pour faire développer des serious games spécifiques (physiques ou numériques), la profusion ludique actuelle permet d’envisager de nombreux usages ludopédagogiques flexibles. Les wargames mis en œuvre à l’IAE Paris-Est, l’école de management de l’Université Paris-Est Créteil (UPEC), en sont des exemples particulièrement notables. Toutefois, le jeu en tant que tel n’est qu’un composant au sein de l’ingénierie pédagogique imaginée. En effet, le choix des wargames découle de plusieurs caractéristiques bien précises (agentivité, flexibilité scénaristique, etc.) (11) permettant leur intégration dans une structure ludopédagogique expérientielle où l’apprentissage se fait principalement de manière inductive, c’est-à‑dire lors des temps de débriefing. Grâce à ces éléments clés et à cette structure pédagogique adaptée, nous avons alors intégré avec succès de multiples wargames dans trois cours : management opérationnel pour des étudiants de 2e année de licence informatique & management (I&M, 42 heures) ; gestion de projets de systèmes d’information pour des étudiants de 1re année de Master contrôle, comptabilité, audit (28 heures) ; retour d’expérience pour des étudiants en alternance de 2e année de Master management de la sécurité des systèmes d’information (MSSI, 28 heures) (12). Pour certains jeux, les règles ont été allégées afin de faciliter une prise en main rapide.