C’est en 1993 que sont entamées les négociations entre la KAAD (Korean agency for defense developement) et la firme Hyundai-Rotem en vue de développer un futur char destiné à remplacer les K1 et les T‑80U de construction russe.
Deux démonstrateurs roulants sont construits : le premier, dénommé FTR (Firing test rig), a pour but de tester le canon allemand (Rheinmetall), construit sous licence par World Defense Industries Ace Corporation ; le second, l’ATR (Automotive test rig) est destiné au développement de la nouvelle suspension hydropneumatique, dont certains organes proviennent du K1. En 1995, 30 millions de dollars sont débloqués afin de développer l’ergonomie et le design du nouveau char, qui doit être une vitrine technologique sud-coréenne dans le créneau du char de bataille. Il faut attendre 2006, après quelques vicissitudes financières, pour que le premier prototype soit terminé. Le 2 mars 2007, trois chars XK2 de présérie sont construits et entament aussitôt des tests intensifs.
Des débuts difficiles
À l’été 2009, le Parlement décide le début de production. Le char est présenté de manière officielle en octobre 2009 au salon ADEX de Séoul, lors duquel il prend le nom officiel de K2 Black Panther. Mais il s’agit d’un effet d’annonce en réaction face aux tensions avec le voisin du Nord, car le char ne semble pas du tout être au point. Pis encore, les firmes Doosan Infracore Corporation et S&T Heavy Industries ne sont pas capables de fournir un GMP (Groupe motopropulseur) suffisamment puissant. Les prototypes, ainsi que les chars de présérie, vont donc devoir se contenter d’un GMP d’origine allemande ; l’honneur national est ébranlé. Les retards s’accumulent et l’entrée en service est repoussée d’un an. Le bond technologique que représente le K2 est tel que les ingénieurs se heurtent à d’importants problèmes d’intégration des systèmes. Mais le réel point bloquant demeure le GMP coréen, dont l’arrivée prévue initialement pour 2010 est retardée.
En novembre 2010, la DAPA (Defense acquisition program administration) prévoit alors la mise en service début 2014, mais, une nouvelle fois, la fiabilité du moteur Doosan fait défaut et la mise en production est repoussée. Camouflet suprême pour l’industrie sud – coréenne, la DAPA annonce en avril 2012 que les 100 premiers exemplaires seront équipés du moteur allemand MTU‑883 et d’une boîte de vitesses Renk si les problèmes de fiabilité du moteur national ne sont pas résolus avant le mois de mars 2014. En juin 2014, les 15 premiers K2 de la première tranche sont livrés avec un GMP allemand et, le 29 décembre, un contrat de plus de 820 millions de dollars est signé entre la DAPA et Hyundai – Rotem concernant la livraison de la première tranche de 100 chars, qui doit courir jusqu’en 2017, avec une option d’achat de 400 autres. Nous sommes alors bien loin des 680 exemplaires prévus au départ et dont la production devait débuter en 2011. En mars 2015, soulagement pour le prestige de l’industrie coréenne, le GMP national est enfin prêt et il équipera les K2 de la seconde tranche. Le K2 fait son entrée dans le top 5 des chars les plus chers du monde avec un coût unitaire de 8,5 millions de dollars, soit 50 % de plus qu’un Leopard 2A6.
Le 27 mai 2019, Hyundai – Rotem annonce la reprise de la production à Changwon pour les 106 chars de la seconde tranche, qui doivent tous être livrés pour 2021. Les problèmes récurrents de boîte de vitesses refont surface lorsque la troisième tranche doit être mise en production. Ainsi, en novembre 2020, la DAPA prend la décision d’équiper les 54 chars de cette tranche, dont les livraisons doivent s’étaler jusqu’en 2023, d’un GMP hybride qui se compose d’une transmission allemande Renk et d’un moteur Doosan. Le modèle le plus récent du K2 a été présenté sous forme de maquette par Hyundai – Rotem lors du salon IDEX d’Abou Dhabi en février dernier. Dénommé K2ME (Middle East), il bénéficie, entre autres, d’une protection renforcée au niveau de la caisse et de la tourelle, des flancs et du toit, tout en étant bardé de technologies dernier cri comme un système de protection active qui peut être le Trophy israélien.
Le K2 est proposé de manière officielle sur le marché de l’exportation le 26 septembre 2014. La Jordanie semble intéressée, mais ne donnera pas suite. Fin 2018, le Sultanat d’Oman désire acheter 76 K2 pour 885 millions de dollars à l’issue des essais qui se sont déroulés sur son sol en milieu désertique. Une nouvelle fois et contre toute attente, aucune suite ne sera donnée. Il faut attendre décembre 2021 pour voir le K2 s’attaquer au marché européen, et plus précisément norvégien, la Norvège ayant déjà acquis 24 K9A1 Thunder et 6 K10 en décembre 2017. Les essais se déroulent sous les meilleurs auspices, car le K2 semble supplanter dans le domaine de la mobilité son concurrent, le Leopard 2A7+ allemand. Mais le K2 doit s’incliner sur tapis vert le 3 février 2023, contre l’avis de certains dignitaires politiques et militaires norvégiens, malgré des qualités indéniables et le fait que Hyundai – Rotem s’engage à fournir dès 2023 24 K2 de la troisième tranche de l’armée sud – coréenne, alors que les Leopard 2A7NO ne sont pas annoncés avant 2026. Le K2 est donc victime d’une décision politique, qui met en avant un renforcement des relations bilatérales entre Berlin et Oslo, avec en toile de fond un contrat de sous – marins allemands pour la marine norvégienne. En parallèle de la campagne norvégienne, Hyundai – Rotem a entamé dès décembre 2021 des négociations avec Le Caire pour produire sur place des K2 pour l’armée égyptienne, avec transfert de technologie. Mais là encore, aucune suite ne semble avoir été donnée.
Le contrat polonais éclipse les échecs précédents
Hyundai-Rotem rebondit de manière spectaculaire en signant le 27 juillet 2022 un contrat mirifique avec la Pologne. En effet, Varsovie se lance dans une impressionnante modernisation de ses forces depuis l’agression de l’Ukraine en 2014 et l’annexion de la Crimée, modernisation qui connaît une prodigieuse accélération depuis le 24 février 2022. L’annonce est spectaculaire, et un contrat de 3,37 milliards de dollars est signé le 26 août 2022 pour l’acquisition d’une première tranche de 180 K2 initialement destinés à l’armée sud – coréenne, suivie d’une seconde de 820. Les dix premiers exemplaires sont remis à la Pologne le 19 octobre 2022, lors d’une cérémonie qui se tient à Changwon, en présence de l’ambassadeur polonais. Arrivés en Pologne dans le port de Gdynia le 5 décembre2022, ces chars sont suivis par cinq autres livrés le 22 mars dernier, portant à 15 le nombre de K2 sur le sol polonais. Ces chars sont affectés au 1er bataillon de chars de Morag, qui a livré ses PT‑91 à l’Ukraine. Ce bataillon de la 20e brigade blindée de la 16e division mécanisée Pomorska poméranienne doit associer ses K2 avec le nouveau VCI polonais, le Borsuk (« blaireau »). Le protocole d’accord concernant ce dernier, signé le 28 février 2023 entre l’Agence d’armement du ministère de la Défense et la firme Huta Stalowa Wola, prévoit la livraison de 1 400 exemplaires, dont 1 000 en version de combat d’infanterie. Les premiers Borsuk devraient entrer en service mi-2023, et les 165 K2 suivants d’ici à 2025.
Les 820 K2 de la seconde tranche sont dénommés K2PL. Destinés à remplacer les T‑72M1R et les PT‑91 envoyés en Ukraine, ils comportent quelques modifications notables comme un système de protection active qui est en mesure de défaire des menaces arrivant à la verticale, un GMP entièrement coréen, un système de détection et de suivi automatique des cibles, l’adoption d’un package de protection renforcée, d’un blindage réactif, d’un liner interne antiarrachement de métal, et d’un système infocentré compatible avec celui des forces polonaises. Mais la modification proposée la plus spectaculaire est le rallongement de la caisse, plus adapté à la topographie polonaise. Cette proposition nécessitant l’adjonction d’un septième galet au train de roulement rencontre un franc succès en Pologne, mais est récusée début février 2023 à cause de problèmes de standardisation de production. En novembre 2022, il était annoncé que les K2PL seraient produits en Corée et en Pologne par WZM (Wojskowe Zaklady Motoryzacyjne) sur le site de Poznan, le plus à l’ouest possible, et ce à partir de 2025. Outre le transfert de technologie, l’accord prévoit aussi le développement bilatéral du futur K3.