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Quand la Chine s’amarre aux ports européens

En octobre 2022, l’acquisition de 24,9 % du port de Hambourg par le géant chinois COSCO a fait polémique par peur de voir l’Allemagne être sous la coupe de la Chine pour son transport maritime, recréant le scénario de la dépendance au gaz russe. Hambourg assure 40 % du trafic entre l’Europe et l’Asie, si bien que Berlin a obtenu de Pékin que cette participation soit revue à la baisse et qu’elle n’ait aucun effet sur les décisions stratégiques.

La vision de la République populaire concernant les ports étrangers repose principalement sur trois entreprises : COSCO, China Merchants Port Holdings Company (CMP), possédées par le gouvernement chinois, et Hutchison Port Holdings, basée à Hong Kong. Elles correspondent à 80 % des investissements portuaires chinois dans 63 pays en 2022. Ces sommes d’argent s’inscrivent dans le projet des nouvelles routes de la soie du président Xi Jinping (depuis 2013), censées établir un réseau d’infrastructures et de partenaires afin de connecter la Chine au reste du monde. Cela comprend un passage terrestre reliant le géant asiatique au Vieux Continent, et un autre, maritime, créant une voie commerciale de l’Asie à l’Europe en incluant le Moyen-Orient et l’Afrique. Pour la République populaire, l’objectif est de faciliter (et contrôler) les échanges en réduisant le temps de trajet des marchandises et d’avoir des leviers d’influence répartis à travers le globe.

Une influence grandissante sur le Vieux Continent

En Europe, les entreprises chinoises détiennent environ 10 % du transport maritime. Si l’acquisition de parts dans le port de Hambourg par COSCO a alerté le gouvernement allemand, elle a également rappelé le cas du Pirée, en Grèce, approché par COSCO dans le contexte de la crise financière de 2008, pour être possédé dans sa totalité en 2016. S’il a été acheté par la Chine, c’est en partie à cause de la situation économique : pour Athènes, COSCO se présentait comme le meilleur gestionnaire et le seul à voir l’intérêt d’investir dans un pays surendetté. Depuis, les entreprises chinoises ont misé sur des terminaux de conteneurs majeurs du transport maritime européen, comme les ports d’Anvers en Belgique (contrôlé à 20 % par COSCO et 5 % par CMP), de Valence en Espagne (51 % par COSCO), mais aussi de Dunkerque (44,6 % par CMP) et du Havre (24,5 % par CMP) en France.

Avec une trentaine de ports majeurs et 2 000 mineurs sur son territoire, la Chine est une puissance maritime considérable : en 2020, parmi les 20 plus grands sites à conteneurs de la planète, neuf sont chinois, Shanghai arrivant en première place avec 43,5 millions de tonnes équivalent 20 pieds (EVP). Pour maintenir ce rôle, Pékin a cherché à dominer certains domaines clés du secteur. Le pays est ainsi le premier constructeur naval de la planète, avec 45 % du marché mondial en 2020, suivi par la Corée du Sud et le Japon. Il s’agit également du premier État pour la fabrication de conteneurs : 95 % sont d’origine chinoise. La Chine a donc réussi à s’imposer comme un leader industriel et à s’implanter à l’étranger grâce à ses investissements directs à l’étranger (IDE), qui ont atteint 10,6 milliards d’euros en 2021 dans l’Union européenne (UE), contre 7,9 milliards en 2020, ce qui a eu pour effet d’alarmer les Vingt-Sept face à l’absence de transparence de ces fonds (1). Car la majorité correspond à des fusions-acquisitions avec des groupes locaux, principalement dans les services et les biens de consommation (3,8 milliards), et l’automobile (2,4 milliards).

Quelles menaces chinoises ?

Plusieurs risques ont été identifiés face à la présence chinoise dans les ports européens. Le projet de la route de la soie maritime se veut avant tout économique, selon Pékin, mais la dimension politique reste la plus grande préoccupation des institutions européennes. La principale crainte est l’espionnage. La révélation, en septembre 2022, de l’existence d’un vaste réseau de bureaux officieux de la police chinoise dans le monde, y compris en France, a mis en alerte les autorités compétentes des États membres de l’UE (2). Outre agir dans l’illégalité sur des territoires souverains, ces services peuvent collecter des informations sensibles pouvant être utilisées contre les pays européens. De plus, le fait qu’une entreprise chinoise soit en possession d’un port ou d’une part de celui-ci met une pression sur les relations entre l’État d’accueil et Pékin – voire crée une dépendance financière.

La diversification est donc nécessaire afin d’éviter toute ingérence en cas de différend. Le besoin de régulations précises pour tenter de contrôler l’influence chinoise a donné lieu au projet d’accord global sur les investissements entre l’UE et la Chine. Les négociations ont débuté en 2013 et ont mené en 2020 à un projet d’accord concret entre les deux parties. Cependant, le texte n’a pas été ratifié dans sa version définitive par le Parlement européen. Les discussions sont restées en suspens, notamment à cause des positions de Pékin sur les Droits de l’homme. Ainsi, la Chine a su mettre en place une stratégie qui porte ses fruits au détriment des Européens, qui observent l’étendue des investissements chinois dans leurs infrastructures et les dangers qu’ils représentent, à un moment où les tensions sont fortes. 

La présence financière et portuaire chinoise en Europe

Notes

(1) MERICS/Rhodium Group, Chinese FDI in Europe : 2021 Update, avril 2022.

(2) Safeguard Defenders, 110 Overseas : Chinese Transnational Policing Gone Wild, septembre 2022.

Article paru dans la revue Carto n°75, « Les crises de l’eau : ressource disputée, avenir incertain  », Janvier-Février 2023.

À propos de l'auteur

Lucie Rubrice

Rédactrice pour le magazine Carto.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

À propos de l'auteur

Gaëlle Sutton

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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