En fait, le concept de porte-drones vient brouiller les frontières mêmes de l’aéronavale embarquée. Bien entendu, le porte-drones ne dispose pas de la souplesse d’emploi d’un véritable porte-avions : si ce dernier peut aussi embarquer des drones, le porte-drones ne pourra pas mettre en œuvre d’avions de combat. Cependant, le concept de porte-drones peut très largement étendre les capacités opérationnelles d’un porte-hélicoptères ou d’un porte-aéronefs amphibie, par exemple. Des drones peuvent ainsi embarquer des torpilles au profit d’un hélicoptère ASM, ou bien scanner une plage avant un débarquement ou un assaut héliporté. Pour les navires les plus lourds, des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) peuvent aussi être mis en œuvre, comme le Bayraktar TB3 turc, destiné au TCG Anadolu, ou bien les MQ‑9B Sky Guardian et Sea Guardian que General Atomics propose avec un kit de navalisation amovible. De tels drones lourds permettent de réaliser des missions de surveillance de très longue durée, mais aussi d’effectuer des frappes air-sol ou des missions air-air. Des tâches qui, jusqu’à présent, restaient réservées aux porte-avions. Privée de chasseurs F‑35B, l’aéronavale turque compte même pousser le concept encore plus loin en dotant l’Anadolu de drones supersoniques Kizilelma, aptes à réaliser aussi bien des interceptions aériennes que des missions de pénétration.
Plus encore, certains concepts de porte-drones vont jusqu’à s’affranchir des limitations propres à l’aéronautique navale, en élargissant la notion à tous les types de drones. C’est notamment le cas du programme portugais Plataforma Naval Multifuncional, qui vise à développer un bateau mère capable de mettre en œuvre aussi bien des drones aériens que des drones de surface ou des drones sous-marins afin de réaliser des missions de surveillance et de contrôle. Les premières vues d’artiste montrent un bâtiment doté d’un pont plat et d’un tremplin pour mettre en œuvre aussi bien des hélicoptères que des drones à voilure fixe.
Porte aéronefs vs porte-avions : un faux débat ?
Les drones ne sont cependant pas les seuls vecteurs aériens qui viennent aujourd’hui brouiller les frontières entre les différents concepts de navires. Dans les années qui viennent, l’introduction à l’exportation du chasseur furtif à décollage et atterrissage vertical (VTOL, Vertical take off and landing) F‑35B Lightning II pourrait ainsi bouleverser en profondeur les doctrines de nombreuses forces navales, notamment au Japon ou en Corée du Sud. En effet, la version VTOL du F‑35 est suffisamment compacte pour pouvoir opérer depuis un porte-aéronefs léger. Moyennant quelques adaptations, notamment pour protéger le pont d’envol de la chaleur du réacteur, un bâtiment conçu comme un porte-hélicoptères pourrait mettre en œuvre un chasseur furtif embarquant des missiles air-air de très longue portée et surtout des munitions air-sol lourdes, bien plus destructrices que ce qu’un drone ou un hélicoptère serait en mesure de délivrer. Si le F‑35B est pour le moment le seul chasseur VTOL disponible sur le marché, réservant cette capacité aux plus proches alliés des États-Unis, plusieurs rumeurs évoquent un programme chinois cherchant à concevoir un avion similaire. On notera également que, dans le cadre du programme TEDBF, l’Inde a pu tester l’utilisation du Rafale et du Super Hornet depuis un porte-avions dépourvu de catapultes. Autant d’initiatives qui gomment progressivement la frontière entre porte-
aéronefs et porte-avions.
Bien évidemment, il est traditionnellement de bon ton en France de distinguer très nettement les « véritables » porte-avions (comme le Charles de Gaulle français) des « simples » porte-aéronefs (comme les CVF britanniques), souvent décrits comme des porte-hélicoptères survitaminés. On notera toutefois que ce débat n’a pas lieu d’être dans d’autres pays. Que ce soit en anglais (aircraft carrier) ou en italien (portaerei), par exemple, les termes « porte-avions » et « porte-aéronefs » se confondent. Avec ou sans catapultes, un bâtiment à même de mettre en œuvre des avions de chasse est un porte-avions. Pourtant, il faut bien reconnaître que les porte-avions français et américains dotés de catapultes sont les seuls capables de mettre en œuvre des avions-radars Hawkeye ou encore des avions configurés spécifiquement pour le ravitaillement en vol, justifiant une certaine supériorité hauturière des porte-avions sur les porte-aéronefs, qui excellent plutôt dans le soutien des opérations amphibies. Mais, ici encore, cette frontière n’est-elle pas amenée à disparaître, ou du moins à s’estomper ?
La révolution attendue des convertibles
Lorsque Bell et Boeing ont conçu le V‑22 Osprey dans les années 1980, ils imaginaient un avenir radieux au concept du convertible. Ce type d’aéronef est en effet capable de décoller comme un hélicoptère, avec ses rotors orientés vers le haut, et de voler en palier comme un avion, en faisant basculer ses moteurs vers l’avant, transformant les rotors en hélices. Au début du programme, il était ainsi prévu que le V‑22 puisse réaliser des missions aussi bien de transport que de sauvetage, de lutte ASM, de ravitaillement en vol, de frappe au sol et même celles d’un avion-radar. Conjointement à la promesse de VTOL supersoniques, le V‑22 aurait dû pouvoir gommer définitivement les différences entre porte-avions et porte-aéronefs en conférant des capacités similaires à n’importe quel « pont plat ». Cependant, le V‑22 Osprey s’avérera trop coûteux et trop complexe pour permettre de généraliser les avions convertibles.