Magazine Moyen-Orient

L’occupation dans l’imaginaire scolaire israélien : entre reconnaissance et déni

Le programme d’histoire de lycée publié en 2003 suivait une progression chronologique et incluait la période allant jusqu’en 1995, au cours de laquelle il présentait des informations détaillées sur « la guerre des Six Jours et la guerre du ­Kippour et leurs conséquences en Israël et dans le monde arabe » et les « relations entre Israël et les Palestiniens ». En 2004, le ministère de l’Éducation a lancé un appel incluant des directives pour la rédaction de manuels scolaires, montrant qu’il fallait, dans l’étude de cette période, insister sur les guerres des Six Jours et du Kippour. Les auteurs devaient décider de ce qui devait être inclus parmi les « résultats » du conflit de 1967 et de la manière de traiter de l’occupation.

De la reconnaissance au déni de l’occupation

Deux livres d’histoire traitent en détail de l’occupation et de l’activité des colons. Selon Élie Barnavi et Eyal Naveh, voir Israël se retirer unilatéralement des Territoires après la guerre des Six Jours « aurait pu changer le visage du conflit du Moyen-Orient » (3). Cependant, comme « Israël a choisi l’autre option : s’accrocher aux territoires qu’il a conquis », ils n’avaient d’autre choix que de consacrer un chapitre entier au processus de transformation des Palestiniens. Ce faisant, ils traitent aussi de la polémique sur le sort des Territoires, du messianisme du Bloc de la foi (Goush Emounim), apparu après 1974 pour appuyer la colonisation en Cisjordanie, et d’une organisation terroriste clandestine de colons repérée en 1984. Élie Barnavi et Eyal Naveh ajoutent que les membres de cette dernière qui ont été arrêtés ont été traités avec bienveillance et indulgence et ont rapidement été libérés de prison. Ils montrent également de l’intérêt pour la première Intifada (1987-1993), qualifiée d’« éruption nationale sans précédent », et ajoutent qu’elle a prouvé le coût du contrôle des Territoires et l’absence de solution militaire à la résistance palestinienne.

Ktzia Aviel-Tavivian décrit le débat qui a surgi en Israël après 1967 concernant l’avenir des Territoires et fait, elle aussi, référence à leurs diverses appellations, mais de façon incohérente, les nommant tour à tour « Judée-Samarie » et « Cisjordanie » (4). Puis, elle se réfère de nouveau à la « polarisation » provoquée par ce débat et évoque dans ce contexte les adhérents du Bloc de la foi et de La Paix maintenant (Shalom Akhshav). Elle essaie de créer un équilibre entre les parties et présente sur la même page et dans le même format une image de l’« installation temporaire à Sebastia » (village palestinien au nord de Naplouse) face à celle d’une « manifestation du mouvement La Paix maintenant ». Mais elle a tendance à blâmer les membres du Bloc de la foi et leurs activités d’implantation pour le « fossé profond » qui se crée dans la société israélienne, et mentionne même la mort d’Emil Grunzweig, vétéran de la guerre de 1967 et enseignant tué en 1983 par une grenade lancée par un extrémiste juif lors d’une manifestation de La Paix maintenant en février 1983.

Il existe plusieurs manuels d’histoire qui ignorent l’occupation ou la rendent « normale ». Par exemple, le livre de Moshe Bar-Hillel et Shula Inbar mentionne à deux reprises – après les guerres des Six Jours et du ­Kippour – l’avenir des Territoires occupés, mentionnant le Bloc de la foi et La Paix maintenant (5). Outre cela, il ne fait aucune référence à ce qu’il se passe. L’ouvrage de Devorah Giladi et Tehila Herz, destiné à l’enseignement national religieux, adopte le point de vue des colons de manière encore plus directe (6). Ainsi, les auteures ne se donnent pas la peine de présenter dans le détail le débat sur l’avenir des zones occupées, qu’elles qualifient de « territoires libérés ». De même, la conquête de 1967 est décrite comme le « retour vers la Judée et la Samarie, régions où ont vécu nos ancêtres, où est né le royaume de David et de Salomon, le cœur du peuple juif ». La dimension visuelle du manuel souligne également la position de ses rédactrices, avec deux photographies montrant les « enfants de Kfar Etzion [retournant] sur leur terre » et la « joie des pionniers de Sebastia », ainsi qu’une carte des « colonies urbaines juives » établies en « terre d’Israël », lesquelles, selon les auteures, créent une continuité entre le XIXe siècle et la période post-1967.

Les manuels d’instruction civique ont été rédigés sur la base du changement du programme d’études qu’adopta la commission Kremnitzer en 1996. Cette dernière a souligné la nécessité d’une approche systémique et intégrée dans l’enseignement afin qu’il ne repose pas seulement sur une mémorisation des connaissances et qu’il soit en mesure de former un citoyen « mature » et « impliqué dans la société ». Ainsi a été rédigé en 1999 un programme qui évoquait aussi les déchirures qui divisent la société israélienne, telles que le débat sur les Territoires occupés et la lutte entre les mouvements Bloc de la foi et La Paix maintenant. Le ministère de l’Éducation publia alors le manuel Être citoyens d’Israël, un État juif et démocratique, qui repose sur la double définition de l’État d’Israël, à savoir juif et démocratique (7). Le livre comprend une carte du pays en 1999. Ce document indique les Territoires occupés et fait la distinction entre leurs différents statuts à la suite des accords d’Oslo. La polémique sur la « résolution du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien » est abordée, y compris la première Intifada. La perspective essentielle du livre est cependant celle des citoyens d’Israël, et les questions de l’impact des colons sur la politique du gouvernement d’Israël et de la négation des droits civils des Palestiniens dans les Territoires ne sont pas débattues.

Le manuel d’instruction civique de Varda Ashkenazi, Être citoyens d’Israël dans un État juif et démocratique, comprend également une référence, plus courte, à la controverse autour de l’avenir des Territoires, laquelle apparaît sous le titre « Division idéologique-politique » (8). Mais, dans ce cas également, le point de vue est celui d’Israël. De plus, la carte montrant le « déploiement des colonies dans l’État d’Israël » comprend des villes juives et arabes situées à la fois en Israël d’avant 1967 et dans les Territoires occupés, comme s’il n’y avait pas de différence entre les deux espaces géographiques.

Le cursus de géographie permet, en principe, de traiter de l’occupation. Il comprend une référence au processus de détermination des frontières de l’État hébreu, aux caractéristiques de l’« établissement en Judée, Samarie et sur les hauteurs du Golan » et au conflit entre Israéliens et Palestiniens. Les manuels comprennent de nombreuses cartes, censées décrire l’espace entre la Méditerranée et le Jourdain. Mais elles ne sont pas considérées par les chercheurs comme le produit objectif d’un travail scientifique, mais plutôt comme une interprétation subjective de la réalité qui inclut des significations politiques cachées ou manifestes. Les cartes indiquent la perception spatiale du système éducatif et la tentative de l’inculquer aux élèves. Ainsi, la ligne d’armistice de 1949, connue sous le nom de Ligne verte, a été effacée des cartes officielles de l’État d’Israël à la suite d’une directive gouvernementale de novembre 1967 et, depuis, elle n’apparaît que sur les cartes historiques qui décrivent la période antérieure. Les différentes représentations qui apparaissent dans les livres de géographie décrivent donc l’espace qui s’étend entre la Méditerranée et le Jourdain comme uniforme, et il est impossible de distinguer les zones occupées, à part quelques zones en pointillés indiquant les espaces dits de zone A, c’est-à-dire administrés par l’Autorité nationale palestinienne (9).

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