Magazine Diplomatie

Offre éducative et diplomatie universitaire : un vecteur de soft power ?

Après une baisse de la mobilité étudiante durant la crise sanitaire, les flux mondiaux rebondissent fortement dès 2021 (+25 %), élevant à plus de 6 millions le nombre d’étudiants étrangers dans les campus universitaires. Dans quelle mesure la mobilité étudiante est-elle devenue un enjeu de compétition entre les États ? 

L. Baudrin : La fin de la guerre froide marque un renouvellement profond de la compétition entre États pour l’accueil d’étudiants internationaux. Les motifs de l’accueil changent progressivement : aux objectifs de sécurité nationale — favoriser la paix et la stabilité du système international —, qui prévalaient depuis le début du XXe siècle, se substituent désormais de nouveaux objectifs économiques et diplomatiques. 

Pour les pays développés, il s’agit d’abord de favoriser la croissance, en mobilisant les étudiants internationaux, afin d’établir des liens économiques avec leur pays d’origine ou en les recrutant pour pallier le manque de main-d’œuvre qualifiée. Pour de nombreux pays de départ, la mobilité est vue comme un vecteur de transferts de connaissances et de développement vers des produits à plus forte valeur ajoutée. Alors que les mobilités étudiantes restent principalement issues des Suds en direction des Nords, on assiste à un abandon du discours sur la « fuite des cerveaux » (Brain drain) au profit d’une vision positive des mobilités étudiantes, conçues comme une caractéristique inhérente à la mondialisation, dont les bénéfices seraient partagés entre les pays de destination et ceux de départs selon une logique gagnant-gagnant. 

La fin de la confrontation des blocs marque par ailleurs un regain d’intérêt pour l’accueil d’étudiants étrangers, désormais considéré comme un vecteur indispensable de puissance. À la coercition, on préfère désormais les armes de l’attraction et du soft power, jugées plus adaptées à un système international de plus en plus interdépendant. Cela s’incarne notamment par la construction progressive d’une image de l’étudiant étranger désirable : les États d’accueil privilégient une migration estudiantine d’élites sélectionnées par des programmes gouvernementaux ou universitaires, issues des pays émergents, notamment d’Asie (la Chine, l’Inde) au détriment de la mobilité historique d’étudiants issus de pays en développement. À défaut d’être pleinement réalisée, cette réorientation des flux se veut une réponse à l’émergence stratégique de l’Asie dans l’économie et la politique mondiales. 

L’après-guerre froide est marquée enfin par une croissance importante et rapide du nombre d’étudiants internationaux, passant de deux millions en 2000 à plus de six millions aujourd’hui. Cette explosion quantitative s’explique par la progression du taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur au niveau mondial, passant de 19 % en 2000 à 40 % en 2020, qui motive l’adoption de stratégies de mobilité internationale pour échapper à une sélection stricte dans des systèmes universitaires embouteillés. L’internationalisation devient par ailleurs un critère de qualité et de différenciation hiérarchique entre universités : alors qu’elles se contentaient d’accueillir des étudiants étrangers, elles fournissent désormais un effort particulier pour les recruter, pour accroitre leur prestige au niveau national ou international. 

Dans quelle mesure l’offre éducative d’un État fait-elle à présent partie des cartes à jouer en matière de soft power ? 

L’offre éducative est désormais une dimension indispensable du soft power, pour laquelle les gouvernements se fixent des objectifs ambitieux : en 2013, l’Allemagne affiche sa volonté d’attirer 350 000 étudiants internationaux, tandis que la France en espère 500 000 à l’horizon 2027. Si la présence prolongée des étudiants dans le pays d’accueil laisse entrevoir la création de lien durable et la valorisation du pays d’accueil, de ses institutions et de ses valeurs à l’étranger, ce n’est pas pour autant une solution miracle, qui serait toujours bénéfique à la politique étrangère des États. 

D’une part, l’objectif d’influence n’est pas toujours prioritaire au sein des États d’accueil. L’application de frais de scolarité élevés dans le but de financer les universités peut limiter le soft power, en excluant les étudiants les moins dotés financièrement. Certaines politiques migratoires, qui appliquent une logique de soupçon à la mobilité étudiante, ont le même effet : en 2011, la circulaire Guéant provoque par exemple une baisse de 10 % de la délivrance de titres de séjour étudiant en France. D’autre part, l’expérience de la mobilité n’est pas toujours positive pour les étudiants étrangers, qui ont parfois du mal à s’intégrer, font l’expérience de la discrimination ou de la précarité : ils ne sont alors pas les meilleurs ambassadeurs pour le pays d’accueil. Même lorsque la mobilité est positive, son influence comme ressource de soft power ne doit pas être exagérée : l’attrait pour les universités américaines ne s’est ainsi jamais traduit pour les étudiants du Moyen-Orient en soutien aux interventions de l’armée américaine dans la région. 

0
Votre panier