Néanmoins, ce nouveau réacteur n’est pas attendu avant 2030, quand bien même le Block 4 est toujours officiellement annoncé pour 2029. Nonobstant d’éventuels – et très probables – retards, cela signifie qu’une part significative des F‑35 Block 4 (qu’ils soient livrés comme tels, ou rétrofités à partir des TR‑2) seront initialement livrés avec l’ancienne motorisation. Ces derniers devront probablement opérer au moins quelques années avec des systèmes dégradés, en attendant un éventuel changement de moteur.
Succès commerciaux et politique tarifaire brumeuse
Depuis 2021, et plus encore depuis l’invasion de l’Ukraine de 2022, des contrats ont été signés avec la Finlande, la Suisse et la Pologne, tandis que la Grèce, la République tchèque, la Thaïlande et la Roumanie ont officiellement fait part de leur intérêt pour l’appareil. Ainsi, malgré une gestion programmatique que l’on pourrait magnanimement qualifier de chaotique, le F‑35 continue d’engranger les contrats à l’exportation. Le chasseur furtif américain peut en effet compter sur la communication sans faille de Lockheed Martin, qui arrive à transformer le moindre problème en opportunité commerciale. Ainsi, la faible disponibilité et la lourde maintenance nécessaire au vol du F‑35 réduisent le nombre d’heures de vol disponibles pour une flotte donnée. Qu’à cela ne tienne ! En Suisse, où Lockheed a proposé de réaliser plus d’heures sur simulateur en compensation, la limitation est présentée comme un excellent moyen de réduire la consommation de carburant, la pollution et les nuisances sonores.
Dans d’autres pays, comme l’Australie, la Corée du Sud ou les Pays-Bas, le maintien du contrat opérationnel initial impose tout simplement de commander des appareils supplémentaires, à défaut de pouvoir faire voler un peu plus les F‑35 déjà livrés. Dans tous les cas de figure, Lockheed Martin en sort gagnant. Outre le bagou de son constructeur, le F‑35 bénéficie aussi largement du rouleau compresseur diplomatique du Département d’État américain, qui pèse de tout son poids pour que le nouveau fer de lance des forces américaines s’impose sur tous les marchés où il est en compétition, quitte à écraser les autres concurrents américains, comme le Super Hornet. Officiellement, bien sûr, le F‑35 remporte tous les marchés grâce à son extraordinaire compétitivité. Cette dernière, toutefois, a de quoi susciter des interrogations.
En effet, si les contrats FMS (Foreign military sales) interdisent officiellement de vendre à perte, il semble évident que le F‑35 est, dans le meilleur des cas, proposé à prix coûtant sur tous les marchés fortement concurrentiels. Quitte à ce que les tarifs proposés contredisent les chiffres internes au Pentagone. Ainsi, en Finlande, le F‑35 en FMS a été proposé à un prix nettement inférieur à celui du Super Hornet, également en FMS, avec un delta qui ne correspond absolument pas à celui observé entre le F‑35A et le Super Hornet achetés pour les forces américaines. Le F‑35 finlandais apparaît d’ailleurs 34 % moins cher que le F‑35 norvégien, alors même qu’Oslo est un partenaire historique du programme.
De fait, lorsqu’ils sont sélectionnés face à des appareils concurrents, les F‑35 achetés sur étagère semblent effectivement proposés à un prix relativement contenu, entre 80 et 100 millions de dollars pièce. Une facture qui permet, politiquement, de justifier de tels achats devant une opinion publique, mais qui ne reflète pas le coût réel de l’appareil sur sa vie opérationnelle. Ainsi, outre les 25 millions de dollars déjà évoqués pour passer du standard TR‑2 au TR‑3 avancé, la modernisation au standard Block 4 complet imposera l’achat d’un radar APG‑85 et d’un réacteur F135 ECU, faisant grimper la facture du rétrofit à près de 50 millions de dollars environ. Et ce, sans même parler des coûts liés aux abonnements – obligatoires – aux services ALIS et ODIN ou aux bibliothèques de menaces. Sachant que certains des premiers Blocks ne pourront être modernisés, on imagine que plusieurs opérateurs n’auront pas d’autres choix… que de commander de nouveaux avions neufs.
Alors que le développement du Block 4 n’en finit pas de commencer, l’avenir du F‑35 semble difficile à anticiper. Si le Block 4 est mené de la même manière que les standards précédents, on est en droit de sérieusement s’inquiéter sur la possibilité de rétrofiter les quelque 2 000 appareils qui auront été livrés d’ici à l’avènement de ce nouveau standard. Le risque, dès lors, est de voir la flotte mondiale de F‑35 divisée en deux catégories, avec d’un côté un F‑35 basique, doté du réacteur et du radar de base, mais avec un système stabilisé, et de l’autre un F‑35 toutes options, nativement équipé du nouveau moteur, permettant la pleine exploitation des dernières avancées hardware et software. Ironiquement, si l’on en arrive là, ce sont les premiers clients export de l’appareil, membres historiques du programme JSF, qui pourraient être les moins bien lotis.
Note
(1) Yannick Smaldore, « F-35 : les inconnues ne sont toujours pas levées », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 78, juin-juillet 2021.
Légende de la photo en première page : La lisibilité budgétaire du programme reste faible, avec une transparence de moins en moins affichée par le Joint programme office. (© US Air Force)