Alors que l’énergie est au cœur de l’actualité européenne depuis l’intervention militaire russe en Ukraine en février 2022, comment les ressources énergétiques sont-elles utilisées comme un levier d’action, un vecteur de puissance, une arme au sein des conflits, ou encore comme moyen pour faire la guerre ?
Le cas de la guerre russo-ukrainienne, parmi d’autres exemples, permet de mettre en lumière la façon dont le levier énergétique intervient au sein même d’un conflit ou d’un rapport de force géopolitique, ou en découle directement ou indirectement. La consommation d’énergies étant essentielle au fonctionnement de l’économie mondiale, des sociétés et des États, on peut affirmer que l’énergie constitue un enjeu géostratégique majeur dans toute guerre, conflit, ou rapport de force entre acteurs.
Trois grands types d’enjeux relatifs à l’énergie dans un conflit ou un rapport de force peuvent être identifiés. Premièrement, l’énergie comme cause du conflit ou comme but de guerre, c’est-à-dire que l’action des belligérants vise à prendre le contrôle ou à défendre l’accès à un territoire riche en ressources et/ou ses voies d’approvisionnement ou d’exportation. Deuxièmement, l’énergie comme arme ou comme levier, qui peut être de nature physique, géopolitique ou économique. Les infrastructures énergétiques critiques (par exemple des centres de production, de transformation d’énergie, ou des réseaux de transport) représentent des cibles physiques stratégiques à détruire ou à endommager. Les sanctions à l’encontre d’un État producteur et exportateur d’énergies forment des leviers économiques visant à affaiblir l’adversaire. La diminution ou l’arrêt des exportations d’énergies vers des pays importateurs, dépourvus de ressources sur leurs territoires, constituent un levier géopolitique pour le pays producteur. Troisièmement, l’énergie comme moyen pour faire la guerre : l’énergie est le socle de toute action ou de tout mouvement militaire car un déplacement de troupes par voies terrestre, maritime ou aérienne nécessite de l’énergie et notamment du pétrole pour la mobilité, et les communications militaires et le travail en état-major nécessitent de l’électricité.
L’énergie, un enjeu stratégique majeur, au cœur de nombreux conflits
L’un des exemples les plus récents de conflit géopolitique, qui s’articule directement et nommément autour d’enjeux énergétiques, est la montée des tensions en Méditerranée orientale au cours de la décennie 2010. En effet, l’accès aux ressources gazières offshore (en mer) est au centre de la communication politique des États riverains de la Méditerranée orientale, notamment la Turquie, la République de Chypre, la Grèce, Israël, et l’Égypte. Les découvertes de gaz naturel au large d’Israël et de l’île de Chypre ont réveillé l’appétit de la Turquie — très consommatrice d’énergies et dépourvue en ressources fossiles sur son territoire — et généré de nombreuses tensions géopolitiques entre les acteurs de la région au cours de la dernière décennie. Bien qu’il n’y ait pas, à ce jour, de guerre ouverte pour le gaz en Méditerranée orientale, on a pu assister à une militarisation de la région, notamment dans le domaine aéronaval, et à de nombreux rapports de force de nature militaire autour de gisements gaziers en exploitation ou dans des zones où les revendications maritimes de différents États se chevauchent.
Dans la région Méditerranée-Moyen-Orient, les cas récents des guerres en Libye et en Syrie mettent en lumière, depuis leur début en 2011, l’importance pour les belligérants de contrôler les territoires stratégiques où se situent les gisements d’hydrocarbures, mais aussi les infrastructures de transformation, de stockage et de transport, comme les raffineries, les pipelines et les terminaux. En Libye, alors que le territoire est divisé et sous le contrôle de différentes factions, l’un des enjeux majeurs pour le gouvernement de transition, basé dans la capitale de Tripoli à l’ouest du pays, est de contrôler à la fois les infrastructures d’exportations, majoritairement situées sur la côte méditerranéenne de l’est libyen, et les ressources d’hydrocarbures situées au sud-ouest et au centre du pays. Les acteurs pétroliers, notamment les entreprises internationales restées dans le pays malgré la guerre, cherchent à exporter le pétrole sur les marchés internationaux. Ainsi, l’accès aux infrastructures côtières de raffinage et d’exportation représente un levier dans les négociations par les forces en présence.