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La Chine, championne de la transition énergétique ?

Métaux, minerais critiques et terres rares : un levier géopolitique pour la Chine

Les métaux critiques ou stratégiques représentent un rôle essentiel dans la fabrication de technologies de la transition énergétique (panneaux photovoltaïques, turbines éoliennes, batteries électriques, etc.). Selon l’Australian strategic policy institute (11), la Chine assure le leadership mondial, en termes de production, sur 37 des 44 technologies de sept secteurs stratégiques : intelligence artificielle, matériaux avancés, quantique, biotechnologie, navigation, défense et énergie. Dans ce dernier domaine, le risque de monopole est considéré comme élevé ou préoccupant pour l’hydrogène, les supercondensateurs, les batteries électriques, les panneaux solaires ou encore la gestion et le recyclage des déchets nucléaires.

Le dumping économique de la Chine a favorisé son émergence et désormais sa domination dans les chaînes de valeur globales des technologies nécessaires à la transition énergétique. Sa politique tarifaire accroît l’écart dans la compétition avec les puissances occidentales et, si le territoire chinois enferme des réserves importantes de ces métaux — de terres rares en particulier —, le pays étend son influence dans d’autres zones géographiques où se trouvent d’abondantes ressources. La République démocratique du Congo, par exemple (environ 70 % de la production mondiale de cobalt), illustre depuis plusieurs années cette prédation financière chinoise. En avril 2021, la compagnie CATL, leader mondial des batteries, a acquis 25 % de la mine de cobalt de Kisanfu, l’une des plus grandes au monde.

Le monopole qu’assure la Chine dans le domaine de ces matières premières implique des risques pour les États engagés dans des transitions énergétiques : un risque économique d’abord, en raison des possibles embargos ou de manipulations de marché, et ensuite un risque géopolitique, car la RPC peut se servir d’un matériau comme arme diplomatique. En 2010, suite à un conflit de revendications territoriales sur les îles Senkaku au large du Japon, la Chine a imposé à son voisin un embargo sur les exportations de terres rares. Les répercussions furent importantes pour Tokyo au regard de sa spécialisation dans les technologies de l’information et de la communication et sa forte dépendance aux importations chinoises de terres rares.

Pour résumer, avec l’accélération de la décarbonation mondiale, nous vivons une transition d’une dépendance aux énergies fossiles (qui va rester d’actualité) à une dépendance minérale. Alors que les enjeux de sécurité énergétique ont dominé l’agenda géopolitique des grandes puissances depuis plusieurs décennies, désormais la sécurité minérale représente un catalyseur des rapports de force entre les différents acteurs (étatiques ou non) du système international. Avec ses capacités de raffinage hors-normes et sa position centrale dans la chaîne de production globale de minerais et métaux, la Chine semble bénéficier d’un statut privilégié dans cette géopolitique de la transition énergétique mondiale.

Une « puissance verte » en trompe-l’œil

La domination, voire l’hégémonie, de la Chine à l’échelle mondiale dans la fabrication des composants des panneaux solaires est indéniable : 79,4 % du polysilicone, 85,1 % des cellules, 74,7 % des modules et 96,8 % des plaques (12). Et si l’influence de la RPC dans le marché mondial de l’éolien est aussi incontournable, qualifier la Chine de « puissance verte » témoigne d’une vision biaisée de la réalité. Le recours accéléré aux EnR doit être analysé en prenant en considération la part de celles-ci dans la production électrique nationale, comprise entre 10 % et 15 % selon les statistiques (officielles ou non).

Ainsi, le rôle de l’énergie éolienne et solaire dans la transition énergétique chinoise est resté jusqu’ici modeste. Surtout, des problèmes techniques se présentent pour l’intégration des EnR dans l’écosystème énergétique existant en Chine. En raison de la production intermittente de l’électricité par les éoliennes et les panneaux solaires, l’ajout des EnR dans les systèmes électriques implique des capacités de stockage sur et hors-réseau. Le phénomène de gaspillage de l’électricité dû à une surproduction a conduit le pays à déployer des réseaux intelligents (smart grids). De plus, les investissements dans l’éolien off-shore traduisent une volonté du gouvernement chinois de contourner les contraintes géographiques liées à l’immensité du territoire : les zones de production dans le Grand-Ouest et le Nord (Xinjiang, Tibet et Mongolie intérieure) sont éloignées des principaux foyers démographiques, situés dans la partie orientale de la Chine.

Alors que les fermes solaires géantes illustrent la décarbonation de la Chine, c’est la gestion des panneaux solaires usagés qui participe finalement à « noircir » le tableau de cette transition énergétique. D’ici une trentaine d’années, des millions de panneaux photovoltaïques seront obsolètes. L’Agence internationale pour les énergies renouvelables prédit qu’en 2050, la Chine devra gérer 13,5 millions de tonnes de déchets issus des vieux modules, un chiffre équivalent à ceux des États-Unis, du Japon et de l’Allemagne cumulés. L’ampleur du défi tient aussi au fait que le processus de recyclage est complexe et onéreux car les panneaux contiennent des métaux toxiques (plomb, cadmium, brome, etc.) beaucoup plus difficiles à séparer et à éliminer.

La RPC ambitionne ainsi de décarboner son électricité grâce — en partie — au gaz naturel pour remplacer progressivement le charbon. Le gaz émet certes deux fois moins que la houille, mais il émet trop pour être compatible avec la neutralité carbone. En outre, il ne faut pas considérer uniquement le CO2 rejeté mais aussi le méthane, par exemple lors des phases d’extraction et de transport du gaz. Il est certainement pertinent pour la Chine — comme d’autre pays asiatiques — de se tourner vers le gaz naturel et l’énergie nucléaire pour remplacer le charbon mais, comme nous l’avons montré, les ordres de grandeur du système énergétique chinois portent à croire que l’essentiel de la baisse des émissions devra provenir d’ailleurs, et notamment de la sobriété. Représentant plus du quart de la consommation d’énergies dans le monde (25,6 % en 2022), la Chine est donc confrontée à un constat implacable dans la mise en œuvre de sa transition énergétique : il ne peut y avoir d’hyperconsommation bas-carbone.

Transition énergétique chinoise entre 2025 et 2060

Source : Tsinghua University’s Institute of Energy Environnement and Economy

Scénarios potentiels pour les chaînes d’approvisionnement en minerais critiques

Notes

(1) Les énergies primaires sont le charbon, le pétrole, le gaz naturel, la biomasse, le rayonnement solaire, l’énergie hydraulique, l’énergie géothermique et l’énergie tirée des combustibles nucléaires.

(2) Gauthier Mouton, « L’“Airpocalypse” en Chine : manifestations de la crise climatique et de la dépendance énergétique au charbon », Le Climatoscope, no 4, 2022, p. 68-71 (https://​rb​.gy/​t​u​5​qpv).

(3) Agence internationale de l’énergie, « Oil, gas and coal import dependency in China, 2007-2019  », dernière mise à jour le 26 octobre 2022 (https://​rb​.gy/​t​g​y​zjr).

(4) Gazprom, Annual Report 2019, Moscou, 2020, p. 114 (https://​rb​.gy/​n​8​g​ytw) et Annual Report 2020, Moscou, 2021, p. 124 (https://​rb​.gy/​l​i​5​dxx).

(5) Dans les pays producteurs de pétrole, la pression sur les ressources en eau est particulièrement élevée. Les centrales nucléaires permettraient de produire de l’électricité pour le réseau et de la chaleur pour le dessalement à grande échelle des eaux saumâtres (superficielles, souterraines et usées) ou de l’eau de mer, qui est une source pratiquement inépuisable.

(6) L’efficacité énergétique indique le degré d’efficacité auquel l’énergie est utilisée pour atteindre un certain but et constitue une voie importante vers la décarbonation.

(7) Robert A. Manning, « Techno-Nationalism vs. the Fourth Industrial Revolution », Global Asia, 14, (1), mars 2019 (https://​rb​.gy/​b​e​c​spm).

(8) Joanna Lewis, Green Innovation in China : China’s Wind Power Industry and the Global Transition to a Low-Carbon Economy, New York, Columbia University Press, 2013.

(9) Bloomberg, Energy Transition Investments Trends, 2022.

(10) La criticité désigne l’ensemble des risques liés à la production, à l’utilisation ou à la gestion de fin de vie d’une matière première. Voir Thomas E. Graedel et Philipp Nuss, « Employing Consideration of Criticality in Product Design », The Journal of The Minerals, 66, 2014, pp. 2360-2366.

(11) Australian Strategic Policy Institute, Critical Technology Tracker (https://​techtracker​.aspi​.org​.au).

(12) Agence internationale de l’énergie, « Solar PV Global Supply Chains », Paris, juillet 2022 (données 2021) (https://​rb​.gy/​y​t​t​avy).

Légende de la photo en première page : Le 14 avril 2022, des ouvriers chinois installent une éolienne dans le Nord de la Chine. Si en 2021, plus de 40 % des éoliennes terrestres et 80 % des éoliennes offshore installées dans le monde l’ont été en Chine, c’est parce que ses méthodes protectionnistes ont permis à des entreprises chinoises comme MingYang ou Goldwind de dominer leur marché intérieur et par le biais de l’effet de volume de proposer des prix extrêmement concurrentiels sur les marchés étrangers. (© Xinhua/Sun Fanyue)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°73, « Géopolitique de la Chine », Avril-Mai 2023 .
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