De tels dispositifs présentent de multiples avantages, souvent insoupçonnés. L’un de leurs atouts majeurs est la persistance. Cela signifie qu’ils disposent d’une capacité à se maintenir au-dessus d’un point d’observation plusieurs jours durant. À l’inverse, les satellites d’observation sont contraints de réaliser un tour complet du globe pour revenir à leur point d’observation initial. Leur second avantage est de pouvoir réaliser des clichés d’observation sous plusieurs angles, tout en étant positionnés au plus près du point observé sans violation formelle de l’espace aérien du pays survolé. Un troisième avantage, qui peut certes surprendre, est leur extraordinaire discrétion. Bien qu’ils évoluent à très haute altitude, à plus de 60 000 pieds, les ballons stratosphériques sont des dispositifs plus difficilement repérables que les satellites. Cette particularité découle de leur mobilité et de la difficile prévisibilité de leur trajectoire. Un satellite opère sur des orbites connues, qui peuvent donc être anticipées. Le ballon est tributaire des vents dominants, ce qui complique le suivi de son parcours. Certes, les ballons peuvent être repérés à l’œil nu. Toutefois, ils s’avèrent très peu visibles quand les rayons du soleil les frappent directement. Cette furtivité naturelle est renforcée par leur signature radar ténue, ce qui les rend indétectables par les systèmes qui scrutent le trafic aérien conventionnel. Pris dans leur ensemble, ces différents facteurs peuvent expliquer, et pour autant que cette latence soit confirmée, la raison pour laquelle le NORAD n’a pas été en mesure de détecter suffisamment tôt la présence de ce ballon chinois au-dessus du territoire des États-Unis. Enfin, un quatrième avantage des ballons stratosphériques est d’obtenir des clichés de meilleure résolution avec des équipements moins complexes, et donc moins coûteux, que ceux embarqués par les satellites.
Une faille juridique critique
Sans doute le plus grand attrait de tels systèmes réside-t il dans l’imprécision juridique qui caractérise leur altitude d’opération. Ces aérostats évoluent, en effet, à une altitude située entre 35 et 50 km. Par conséquent, leur déploiement échappe à la fois aux règles régissant les espaces aériens et au droit de l’espace extra-atmosphérique. Il est généralement convenu qu’un État est en droit d’exercer sa souveraineté à une altitude maximale de 20 km (soit 66 000 pieds). Par ailleurs, les dispositions du traité sur l’espace extra-atmosphérique de 1967 ne s’exercent qu’à partir de la ligne de Kármán, située à 100 km d’altitude. Un vide juridique sur le plan du droit international caractérise donc cette couche de l’atmosphère située entre 20 et 100 km d’altitude (2). Est-ce à dire qu’il s’agit pour autant d’une zone de non-droit ? La réponse à cette question est autrement plus complexe (3).
Bien que tant l’espace aérien que l’espace extra-atmosphérique accueillent des activités et des technologies de nature militaire, ni le droit aérien ni le droit spatial n’ont réglé un point fondamental : celui de la délimitation entre l’espace aérien et l’espace extra-atmosphérique. Ce point figure pourtant à l’ordre du jour du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA) de l’ONU depuis plus de 50 ans. Ainsi, aucune disposition du droit de l’espace ne contient la moindre définition de la frontière entre l’air et l’espace. La Convention de Chicago de 1944, considérée comme la charte fondatrice du droit aérien, s’abstient même de définir la notion d’espace aérien, lequel est depuis 1919 soumis à la souveraineté de l’État sous-jacent. On peut déterminer ces deux espaces selon deux approches. La première est l’approche « spatiale » développée par Andrew G. Haley (4) et John Cobb Cooper (5). C’est celle qui est aujourd’hui employée pour caractériser l’espace aérien et l’espace extra-atmosphérique. C’est à la science qu’est revenue la tâche délicate de déterminer une limite entre ces deux ensembles. La ligne de Kármán, fixée à 100 km d’altitude, fut définie par convention comme la frontière – certes aussi artificielle que discutable – entre l’espace aérien et l’espace extra-atmosphérique (6). Selon John Cooper, l’espace extra-atmosphérique débute à la hauteur où les aéronefs ne peuvent plus évoluer. Cette hauteur est estimée entre 20 et 50 km, une fourchette d’incertitude forcément évolutive qui dépend des progrès technologiques dont peuvent bénéficier les systèmes de propulsion des aéronefs. Toutefois, les délimitations proposées par l’approche de Cooper ne sont pas appliquées par les États, qui pour la plupart ont préféré le principe d’une démarcation fixée à 100 km d’altitude.
Une seconde approche, dite « fonctionnelle », permet de distinguer l’espace aérien de l’espace extra-atmosphérique sur la base de l’objectif qu’un objet lancé est censé servir. Cette façon d’envisager la distinction entre l’espace aérien et l’espace extra-atmosphérique dispense donc de la démarcation d’une frontière physique fixe. Elle est en cela fortement critiquée puisqu’elle peut ouvrir la voie à des controverses permanentes au sujet de la licéité ou de l’illicéité des activités des États et/ou de leurs acteurs aéronautiques et spatiaux, surtout lorsque ces activités supposent le survol de territoires étrangers.
Afin de dépasser la question délicate du droit applicable aux aérostats – ainsi qu’aux divers objets aériens et spatiaux dont les caractéristiques technologiques viendraient à brouiller la lisibilité de leur statut juridique –, l’idée d’une division tripartite des sphères se situant au-dessus de la surface de la Terre a été proposée. Cette subdivision supposerait premièrement un espace aérien allant jusqu’à 27 km d’altitude (l’altitude maximale pouvant aujourd’hui être atteinte par un aéronef), deuxièmement un espace extra-atmosphérique débutant à quelque 85 km d’altitude (orbite la plus basse sur laquelle un satellite peut être maintenu), et troisièmement un espace intermédiaire (« mezzo space ») dans lequel ni le vol des avions (selon les lois de l’aérodynamique) ni la mise en orbite ne sont possibles et dans lequel pas plus le droit aérien que le droit de l’espace ne s’avérerait pertinent. Un régime juridique complémentaire, inspiré de l’approche fonctionnaliste dépendant de la mission ou de l’objectif poursuivi par l’engin déployé, s’appliquerait à l’espace intermédiaire situé entre 27 km et 85 km.