Il existe souvent un découplage entre les forces armées qui recourent aux mines, souvent pour des objectifs de très court terme, et les populations qui en subissent les conséquences durables sans avoir les moyens de financer le coût du déminage. Nous retrouvons ici la défaillance du marché : les externalités négatives ne sont pas prises en charge par ceux qui les ont générées. Elles devraient cependant être intégrées (internalisées) dans le prix des mines pour que les forces armées ou les décideurs politiques soient conscients de leur coût social réel.
C’est la raison pour laquelle de nombreux États ont signé la convention d’Ottawa qui interdit les mines antipersonnel et la convention d’Oslo ciblant les armes à sous-munitions dont les effets à long terme sont comparables. Malheureusement, certains pays, et non des moindres comme les États-Unis, la Chine ou la Russie, refusent toujours de rejoindre ces conventions. Le Landmine Monitor estime que 45 millions de mines seraient encore stockées par les armées dans le monde, dont 26,5 millions en Russie, 3 millions aux États-Unis et même 3,3 millions en Ukraine (pourtant État partie de la convention d’Ottawa).
Il est donc probable que les mines antipersonnel soient encore employées lors de conflits. De plus, le recul des mines antipersonnel ne résout pas les problèmes associés, car de nouvelles armes ont émergé depuis deux décennies avec les mêmes externalités négatives : les engins explosifs improvisés (IED en anglais), qui n’ont cessé de proliférer depuis les guerres en Irak et en Afghanistan à la fois en quantité et en variété. Les IED posent des difficultés supplémentaires, car ils ne sont pas employés par des États, mais par des groupes insurrectionnels qui ne sont pas soumis au droit international.
Enfin, certaines évolutions technologiques laissent certains envisager qu’il serait possible d’avoir des mines antipersonnel « propres » ou « intelligentes », car elles pourraient être désactivées ou détruites à distance, sans nécessiter l’intervention de démineurs. Elles ne présenteraient pas les mêmes inconvénients que celles interdites par les conventions d’Ottawa et d’Oslo. Pourtant, rien n’est moins sûr et il est important de rester vigilant afin que ces améliorations techniques ne viennent pas réduire à néant le travail formidable réalisé depuis 1997 pour interdire des armes aux effets disproportionnés sur les populations civiles.
La bataille contre les mines antipersonnel et tout ce qui s’en rapproche reste malheureusement toujours d’actualité. Il est important de ne pas relâcher les efforts en faveur de l’universalisation des traités d’Ottawa et d’Oslo, mais aussi de rester vigilants face à l’introduction de nouvelles armes comportant des externalités négatives semblables.
Notes
(1) L’auteur est membre à titre personnel de la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel (CNEMA), sous l’égide du ministère des Affaires étrangères.
(2) Mounu Prem, Miguel E. Purroy et Juan F. Vargas, « Landmines : the Local Effects of Demining », Working Papers, no 132, IAST, Toulouse, février 2022.
Légende de la photo en première page : Photo d’une position minée à la frontière entre l’Irak et l’Iran durant la guerre entre les deux pays. En l’occurrence, la zone n’était toujours pas dépolluée en 2017. (© Sebastian Castelier/Shutterstock)