Le Liban est « en crises » : économique, politique, humaine (avec le conflit syrien et les réfugiés), sanitaire. Les manifestations qui ont secoué le pays depuis l’automne 2019 ont donné lieu à des dénonciations virulentes des élites politiques, considérées comme responsables de la situation, et, de manière générale, de tous les partis ainsi que du système libanais dans son ensemble. Dans ce contexte de crises multiscalaires, comment la gestion de la Covid-19 s’est-elle organisée ? Dans un système où les acteurs paraétatiques ont un rôle prépondérant, comment a-t-elle été abordée par le Hezbollah (1) ?
Le système de santé libanais est structuré d’une telle façon que les organes paraétatiques y occupent une place majeure. Les deux tiers des hôpitaux du pays sont privés et gérés par des organisations à but non lucratif, des organisations caritatives religieuses, des ONG et des partis. Quand des échéances électorales approchent, on peut aussi voir des notables aux prétentions politiques, avouées ou non, ouvrir des dispensaires où les soins sont donnés sans contrepartie financière. Ce fut par exemple le cas dans certains villages du Sud-Liban en 2008 et 2009, à la veille des législatives. Ainsi, les acteurs paraétatiques sont aux premières loges de la gestion de la crise aux côtés d’un État libanais défaillant. Ils prennent en charge une partie non négligeable de l’accès aux soins à travers des dispensaires, le financement de traitements, les services de premiers secours, le transports ambulanciers, etc.
Il est à noter que le système de sécurité sociale libanais ne couvre qu’une partie de la population, et ce même avant la pandémie de Covid-19. Les militaires et assimilés (forces de sécurité intérieure, police, Sûreté générale, entre autres) sont pris en charge avec remboursement de leurs frais de santé pour eux et leur famille, ainsi que l’accès aux soins dans des hôpitaux qui leur sont réservés. Cependant, les crises successives ont remis en cause cette couverture sociale pour une partie de ces « privilégiés », et les gendarmes, notamment, n’ont plus accès aux soins. Par ailleurs, la crise financière a eu un impact non négligeable sur le calcul des remboursements : ceux pour qui les traitements étaient calculés par la sécurité sociale en s’appuyant sur le taux de change officiel de 1 507 livres libanaises pour un dollar, alors que les importateurs payaient les médicaments, tous achetés à l’étranger, en dollars à un taux qui était, à l’été 2022, vingt fois supérieur. Il en va de même pour le remboursement des soins hospitaliers, l’électricité nécessaire au fonctionnement des hôpitaux étant payée à des taux variables. Dans le sud du pays, à l’été 2022, la fourniture par Électricité du Liban (EDL) était limitée à une heure et demie quotidienne, les groupes électrogènes marchant au mazout (importé) étant au maximum de leurs capacités et engendrant des dépenses supérieures.
Un parti politique aux multiples facettes
Né de manière plus ou moins informelle en 1982, au moment de l’invasion israélienne du Liban, le Hezbollah est un groupe de résistance à référent chiite. Dans les faits, depuis les années 1990, il est le seul mouvement libanais autorisé à garder les armes dans le cadre de la lutte contre l’occupation d’une partie du pays par Israël. Les accords de Taëf (Arabie saoudite), qui mettent fin à la guerre civile (1975-1990), sont signés en octobre 1989 entre les différentes parties et ratifiés par le Parlement libanais en août 1990. En mai 2000, l’armée israélienne se retire de la majeure partie du territoire libanais qu’elle occupait, marquant une victoire pour la Résistance islamique, branche armée du Hezbollah. Ce dernier devient, notamment à travers la figure emblématique de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, le héros du monde arabe. En juillet 2006, le conflit de 33 jours qui oppose le mouvement à Israël est considéré comme une « victoire divine » (2) et vu, au-delà du Liban, comme un succès du Hezbollah alors au comble de sa popularité. Mais celle-ci est partiellement remise en cause par l’implication dans le conflit syrien. Début 2011, les premiers soulèvements se produisent en Syrie et, assez rapidement, le mouvement libanais entre en guerre aux côtés du régime de Bachar al-Assad (depuis 2000). En mai 2013, le Hezbollah reconnaît officiellement avoir des troupes déployées dans l’État voisin. Cela marque une étape nouvelle dans la construction de l’image d’un mouvement perdant alors son aura à l’extérieur comme à l’intérieur du pays.
Il faut dépasser les visions un peu essentialisantes de ce qu’est le Hezbollah. Qualifié d’islamiste, il a, comme les Frères musulmans égyptiens, un positionnement multiple qui enjambe les sphères sociale et politique et place la moralité islamique au cœur du travail de service (3). De nos jours encore, une partie de ses activités est clandestine et objet de fantasmes, notamment dans ce qui touche à la lutte armée à la frontière sud du pays. Il est à la fois une milice armée et un parti politique qui participe à la vie législative du pays depuis 1992 et les premières élections organisées après la fin de la guerre civile. Il est ainsi impliqué dans tous les débats qui touchent à la vie institutionnelle libanaise – le blocage parlementaire, ses alliances avec d’autres mouvements, la formation des gouvernements et le choix des ministres, souvent stratégique –, comme dans ceux concernant la région moyen-orientale – ses liens avec l’Iran ou la Syrie, son implication dans la guerre en Syrie ou au Yémen, la crise diplomatique avec l’Arabie saoudite à l’été 2021, la querelle sur la délimitation de la frontière maritime avec Israël…