Magazine Moyen-Orient

Le Hezbollah face à la Covid-19

Le Hezbollah est aussi pourvoyeur de services sociaux à travers un large éventail de structures sociocaritatives dès les premiers temps de son existence. Parti politique et branche armée fonctionnent de concert depuis leur naissance pour organiser la possibilité de la lutte, et les conflits qui ont eu lieu sur le sol libanais ou à l’extérieur ont forgé le Hezbollah et ont fait que le mouvement s’est doté de structures d’appui à son action militaire (aide aux orphelins, soutien aux familles, structures médicales, etc.) et d’institutions culturelles pour diffuser et reprendre les définitions émiques (médias, maisons d’édition, scoutisme, etc.).

Un réseau hospitalier de qualité ouvert à tous

Parmi les institutions sociocaritatives du Hezbollah, l’une des plus anciennes est la Fondation du martyr, fondée en 1982, en soutien aux familles de combattants morts au front. Elle est propriétaire d’institutions dont profitent ses bénéficiaires, comme l’hôpital Al-Rassoul al-Azam, créé en 1988 dans la banlieue sud de Beyrouth, ou l’hôpital Ragheb Harb, dans le sud du pays, centre universitaire à la réputation positive bien au-delà du cercle des sympathisants hezbollahis. Ces hôpitaux sont ouverts au grand public, ce qui permet de réaliser des bénéfices aidant à financer les différents programmes que la Fondation du martyr développe. Elle est aussi propriétaire d’un réseau de stations-service à travers les régions majoritairement chiites (Sud-Liban, Bekaa, banlieue sud de Beyrouth) et d’écoles privées. Dans ces dernières, les enfants de salariés, civils et combattants, du parti bénéficient de bourses et les autres élèves paient les frais de scolarité. Là encore, les résultats obtenus aux examens officiels par ces écoles sont parmi les meilleurs des territoires où elles sont implantées, attirant un public qui n’est pas forcément en accord avec les thèses du parti.

Le Hezbollah a massivement communiqué sur les actions qu’il a déployées au-delà des chiites, sa communauté de recrutement naturel dans le système consociatif libanais. La mise en place du plan pour faire face à la Covid-19 s’est accompagnée d’une communication ample et d’un accès large offert aux journalistes locaux et internationaux pour donner une image de professionnalisme et montrer, en actes, que le Hezbollah agit pour le Liban et les Libanais, alors que les soulèvements qui ont débuté à l’automne 2019 critiquaient les partis politiques et leurs actions. Par exemple, dans les articles et reportages de la presse libanaise comme internationale, des images de la désinfection de quartiers entiers comme d’églises chrétiennes ont été diffusées. Bien au-delà des seuls personnels médicaux et paramédicaux, le Hezbollah a rapidement mobilisé ses partisans et sympathisants, ainsi que ses différentes structures sociocaritatives pour gérer la crise. Des volontaires ont ainsi été formés par le Comité de santé islamique, en premier lieu pour les opérations de désinfection organisées dans la banlieue sud de Beyrouth. En plus de ces actions relayées par les médias partisans et sur lesquelles les structures de communication ont insisté, loin des caméras, les comités de village ont réalisé les désinfections de lieux publics, notamment des mosquées et des églises.

Si le Hezbollah dispose d’un large réseau d’institutions sociocaritatives, le fonctionnement de ces dernières doit se penser en lien avec les structures de contrôle social du parti, notamment celles d’encadrement et de mobilisation (scouts, comités féminins, etc.) (4). Force est de constater que les partisans du Hezbollah sont « multipositionnés » dans le champ militant : des assistantes sociales de la Fondation du martyr sont aussi bénévoles au sein du Comité de soutien à la Résistance islamique (5) ; des journalistes sont chanteurs dans des groupes affiliés au parti ; des infirmiers hospitaliers sont infirmiers de guerre ; des salariés de la Fondation du martyr ou des responsables pédagogiques salariés d’une école hezbollahie peuvent être producteurs de musique et chanteurs… Loin d’être anecdotique, ce « multipositionnement » extrêmement courant brouille les frontières dans les fonctions, mais surtout, il implique de prendre en compte qu’un journaliste ou un graphiste qui participe à des distributions alimentaires en temps de confinement ou s’enquiert du sort des personnes atteintes de la Covid-19 le fait aussi parce que cela fait partie du type de tâches qu’il peut être amené à assumer, même en dehors de la période exceptionnelle de la pandémie.

Quand le premier cas de Covid-19 est annoncé au Liban, en février 2020, nombreux sont ceux, dans la classe dirigeante comme dans la population, qui pointent du doigt le Hezbollah. En effet, ce supposé premier cas serait celui d’une pèlerine de retour de Qom (Iran), et le mouvement libanais est accusé d’avoir voulu maintenir les vols avec la République islamique, où le virus avait déjà commencé à circuler. En réaction, Naïm Qassem, vice-secrétaire général du parti, affirme que l’épidémie se propage « sans se soucier de la confession ou de la couleur de peau ».

Mobilisation générale des forces vives du Hezbollah

Le 13 mars 2020, Hassan Nasrallah s’exprime dans un discours télévisé et, à l’instar de ce que fera le président français Emmanuel Macron (depuis 2017) trois jours plus tard, il évoque une « situation de guerre » et s’appuie sur son expertise dans le combat pour affirmer qu’il faut construire une véritable stratégie contre l’« ennemi Covid-19 ». Le Comité de santé islamique présente la mise en place d’un plan pour éviter la propagation de la pandémie au Liban, établi en concertation avec le ministère de la Santé, considéré comme proche du parti. Le fonctionnement du Hezbollah est rodé : Hassan Nasrallah parle, développe des principes, et d’autres membres ou des structures ad hoc annoncent par la suite les mesures concrètes. Dans ce plan, il s’agit de renforcer les contrôles sanitaires à l’aéroport, de veiller à avoir des unités équipées et de mener des campagnes de désinfection dans les espaces publics. Des unités sont envoyées dans les six hôpitaux et 17 cliniques gérés par le Comité de santé islamique, où les équipes sont formées à un protocole strict. Fin mars 2020, Hachem Safi al-Din, chef du bureau exécutif du Hezbollah, déclare que les ressources du parti sont désormais consacrées au plan de lutte contre la Covid-19. Les personnels de santé travaillant dans les institutions du parti, les membres de la Défense civile, mais aussi des volontaires engagés dans d’autres structures partisanes (comités féminins, scouts, écoles), ainsi que des bénévoles, sont mobilisés. Dans les hôpitaux du Sud-Liban affiliés au Hezbollah, des services accueillent les malades atteints de la Covid-19, des protocoles sont répétés, et le dispositif est opérationnel.

À propos de l'auteur

Kinda Chaib

Chercheuse au sein du programme « ERC DREAM », rattachée au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (UMR 8058), spécialiste du Hezbollah ; ses travaux portent sur les mouvements révolutionnaires clandestins des années 1960 et 1970 dans les mondes ruraux libanais.

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