Magazine Moyen-Orient

Le Hezbollah face à la Covid-19

Concrètement, dans les villages, les équipes d’intervention sont mises en place en coordination avec les municipalités. Des lieux de culte sont transformés en centres de distribution alimentaire, gérés par les comités féminins, les scouts et les bénévoles. « On s’est organisés ; on a déjà fait des choses comme ça, bon, pas avec un virus… Des guerres, on en a vécu, alors on sait un peu comment faire… Quand sayyid Hassan a parlé, on a su qu’il allait falloir faire vite les choses. Puis on nous a expliqué… Chacun prend ses responsabilités, c’est important. Même si dans le village, il n’y a pas de cas, les écoles sont fermées, les gens ont peur, du coup, ça les rassure et nous, on sait qu’on fait ce qu’on peut faire », racontait en août 2020 Fawaz, professeur de mathématiques et réserviste qui s’occupe de la distribution alimentaire. Quand un cas est identifié dans un village, des équipes se déplacent pour déposer des denrées et veiller au respect des règles pour éviter la propagation. Les groupes de discussion et fils sur les réseaux sociaux sont utilisés pour prévenir les habitants. Dans ces groupes privés, les noms des malades sont donnés, permettant à tout un chacun de calculer le risque éventuel de contact qu’il ou elle a pu avoir. Le système d’information de la part des municipalités liées au Hezbollah existait avait la crise sanitaire, mais, à partir de ce moment-là, les personnes les moins liées au mouvement se sont elles aussi inscrites pour suivre l’évolution locale de la pandémie. Les plus critiques ont reçu à leur tour les informations sur la Covid-19 comme sur les cérémonies organisées en ligne ou toute autre annonce relevant de la vie locale, mais teintées d’une appartenance partisane. 

De la solidarité à la résignation

Aux échelles nationale et locale, le Hezbollah est allié à l’autre mouvement chiite, Amal. Cette alliance n’est pas toujours bien vécue dans une région où la guerre entre les deux groupes dans les années 1980 a laissé des traces et où les critiques des uns envers les autres s’expriment assez rapidement au-delà de l’alliance affichée. Dans les municipalités dominées par le Hezbollah, les structures partisanes, originellement consacrées à la mobilisation ou au soutien des partisans voient leurs activités tournées quasi exclusivement vers la gestion de la crise sanitaire. Dans certains villages, les secouristes liés à Amal travaillent de concert avec ceux du Hezbollah pour transporter les malades jusqu’aux hôpitaux, apporter les soins ; les scouts des deux mouvements sont ensemble, et deux ans après, les discours sur la probité des collègues de l’autre parti ou sur leur professionnalisme se sont multipliés.

En juillet 2020, une habitante du Sud-Liban témoigne : « Heureusement, ici, ça va. On est fatigués par les prix qui montent partout… Mais bon, ici ce n’est pas comme Beyrouth […]. Dans notre région, c’est mieux, il y a autour de nous des gens qui veillent, qui nous soulagent, c’est rassurant. Non, vraiment, grâce à Dieu, ça va. » À l’échelle locale, les liens semblent s’être resserrés autour de ceux qui gèrent la pandémie, autour du Hezbollah en premier lieu, mais aussi autour de ses alliés, de ses élus et des structures médicales du parti, dont l’aura s’en est trouvée augmentée.

Un an plus tard, à l’été 2021, l’accélération de la crise économique met de côté la crise sanitaire dans les préoccupations des habitants de la région. On réfléchit avant d’aller effectuer un test, payant, et le confinement étant terminé, une partie des mesures de soutien à la population se sont arrêtées. Les cas de Covid-19 sont suivis comme on suit au quotidien le taux de change de la livre libanaise au marché noir dans une forme de routine et de résignation. 

Notes

(1) Ce texte s’appuie sur des enquêtes de terrain conduites en 2021 et 2022, des entretiens réalisés depuis 2020 et l’observation des discussions sur des groupes de villages sur les réseaux sociaux pendant cette période.

(2) « Victoire divine » se dit « Nasr min Allah » en arabe, les communicants du Hezbollah ayant effectué un jeu de mot avec le nom de leur secrétaire général, Hassan Nasrallah.

(3) Marie Vannetzel, La clandestinité ouverte : réseaux et registres de la mobilisation des Frères musulmans en Égypte (2005-2010), thèse de science politique, Institut d’études politiques de Paris, 2012.

(4) Aurélie Daher, Le Hezbollah : Mobilisation et pouvoir, PUF, 2014.

(5) Kinda Chaib, « Femmes, musulmanes, Libanaises du sud : revendiquer une place par l’islam », in Revue d’études des mondes musulmans et de la Méditerranée, no 128, 2010, p. 79-95.

Légende de la photo en première page : Intervention télévisée de Hassan Nasrallah, devant des volontaires du Hezbollah, à Beyrouth, le 16 février 2022. © Xinhua/Bilal Jawich

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°56, « Liban : un État en voie de disparition ? », Octobre-Décembre 2022.

À propos de l'auteur

Kinda Chaib

Chercheuse au sein du programme « ERC DREAM », rattachée au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (UMR 8058), spécialiste du Hezbollah ; ses travaux portent sur les mouvements révolutionnaires clandestins des années 1960 et 1970 dans les mondes ruraux libanais.

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