Il n’y a donc pas de raisons de parler de djihadisme au Burkina Faso aujourd’hui ?
Effectivement, cette vision d’une diffusion du djihadisme dans le pays est totalement erronée. La situation du Burkina Faso ne correspond pas à ce qui a pu se passer en Irak ou en Syrie. Il convient donc plutôt de parler de la diffusion de violences, de conflit civil ou de conflit asymétrique.
Aujourd’hui, il n’y a pas d’attaques terroristes contre le gouvernement, quoi qu’en dise la rhétorique tenue par les autorités pour ne pas prendre leurs responsabilités vis-à-vis des dernières décennies et de leurs conséquences sur la situation actuelle. Il est toujours plus simple de renvoyer la faute sur des attaques externes et de se dédouaner de toute responsabilité, comme l’a notamment fait le gouvernement de Roch Marc Kaboré, président du pays de décembre 2015 à janvier 2022.
Les acteurs de ces violences sont-ils essentiellement des Burkinabés ?
Contrairement à ce que l’on a pu voir sur le théâtre syrien ou irakien, nous ne retrouvons pas de combattants étrangers au Burkina Faso, mais bien des Burkinabés d’origine multi-ethnique. Si les populations peules ont beaucoup été stigmatisées au départ, c’est en raison du groupe Ansarul Islam, apparu en 2016 dans la province de Soum, dans le Nord du pays, qui recrutait en premier lieu parmi les Peuls, eux-mêmes victimes depuis longtemps de violences et de prédation de la part des forces de défense et de sécurité (FDS), ce qui entraînait un fort ressentiment à l’égard de l’État mais aussi de leurs propres élites. Cependant, on a pu constater, dès 2018, que le recrutement des groupes armés s’effectuait également auprès d’autres communautés, y compris au sein même de l’ethnie majoritaire des Mossis.
Il convient également d’être attentif à la réponse massive et violente du gouvernement actuel, comparée notamment aux opérations de Roch Marc Kaboré, qui avait une démarche plus prudente. Les opérations sont aujourd’hui de plus grande ampleur, avec des attaques qui causent des victimes parmi la population civile. Le mot d’ordre est de frapper fort, notamment à l’encontre de certaines communautés comme les Peuls. Cela génère de nouvelles frustrations dans la population, qui contribuent à grossir les rangs des groupes armés et à délégitimer la présence de l’État. En parallèle, les FDS ou les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), récemment recrutés et ayant moins de formation militaire que l’armée de métier, sont davantage susceptibles d’exercer une violence aveugle à l’encontre des populations — le tout sur fond de discrimination systémique vis-à-vis des communautés peules. C’est la dénonciation de ces violences (1) qui a d’ailleurs valu à deux journalistes françaises d’être expulsées (2). Nous assistons à une déshumanisation totale du conflit et à un génocide en constitution depuis plusieurs années au Burkina Faso. C’est une discrimination qui s’observe dans toutes les strates de la population et cette situation est particulièrement alarmante.
Face à cette flambée de violence, le gouvernement a décrété la « mobilisation générale ». Quelle est sa stratégie ?
Cette stratégie a beaucoup évolué, du fait de l’évolution même de la situation politique du Burkina Faso. L’ensemble des évolutions politiques du pays, au cours des dernières années, sont d’ailleurs extraordinairement liées à la gestion de la crise sécuritaire dans le pays, comme l’illustre la chute du gouvernement et du président Kaboré après l’attaque de la base d’Inata, en novembre 2021 [qui a coûté la vie de plus de 50 gendarmes burkinabés]. Cet événement a en effet amené au pouvoir une première junte militaire, qui a été chassée par une seconde, qui a entrainé une évolution de la dynamique conflictuelle dans le pays.
Le renversement du président Blaise Compaoré en 2014 avait généré une défiance du gouvernement civil à l’encontre des institutions militaires, fortement impliquées dans la gouvernance semi-autoritaire de Blaise Compaoré. Le président Roch Kaboré se méfiait donc de sa propre armée, ce qui l’a peut-être amené à ne pas prendre les réponses adaptées vis-à-vis des enjeux sécuritaires du pays et qui expliquerait la volonté des militaires de reprendre la main sur le contrôle de l’État.
Le gouvernement Kaboré avait mis en place la mobilisation des Volontaires pour la défense de la patrie (3). Le capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte actuelle, a appelé [en avril 2023] à la mobilisation générale. Si cette mobilisation n’est pas effective, c’est aussi un moyen de faire pression sur les populations pour leur faire comprendre qu’elles sont toutes potentiellement engageables pour répondre aux besoins de sécurité et de défense du pays. Il faut savoir qu’il existe actuellement un certain ressentiment des populations rurales, exposées aux violences, vis-à-vis des populations des grands centres urbains, qui vivent dans une paix relative.
Pour ce qui est de la stratégie du gouvernement, nous assistons à une intensification de la réponse militaire, ainsi qu’à une intensification de la propagande de guerre, afin que le gouvernement actuel puisse souligner ses efforts et réussites. Mais les réussites ne sont pas pour autant plus importantes que sous les précédents gouvernements. En effet, malgré quelques victoires, le territoire contrôlé par le gouvernement recule mois après mois. L’évolution du conflit est aussi dépendante de la saisonnalité, qui rebat les cartes de l’accessibilité au terrain.