Quelles furent les conséquences du départ des opérations « Barkhane » et « Sabre », et les effets de l’arrivée des Russes dans le pays ?
Le départ de la force Barkhane — qui n’était pas déployée dans le pays — a eu peu d’impact au niveau du Burkina Faso. Néanmoins, la présence de cette force française permettait de tempérer les violences commises à l’encontre des populations civiles, que ce soit par les forces de sécurité nationale ou par les groupes armés. Elle permettait de contenir la propagation de la violence, et son départ a eu des conséquences néfastes sur l’évolution de la situation : accentuation des violences à l’encontre des civils et intensification de la dynamique conflictuelle.
Si la présence du groupe Wagner au Mali s’explique par la volonté de la Russie de soutenir la junte au pouvoir, les mercenaires russes ne sont pas encore officiellement déployés au Burkina Faso, même si des premiers contacts ont été pris. Ce qui est néanmoins intéressant à souligner, c’est que les Français ne facturaient pas leur intervention, alors que Wagner présente une note en échange de ses services. Cette note inclue notamment un accès aux mines d’or et renforce les dynamiques de prédation à l’encontre des ressources naturelles. Aujourd’hui, la plupart des entreprises minières internationales présentes au Burkina Faso — essentiellement canadiennes, australiennes ou britanniques — ont été vendues, car elles ne peuvent plus opérer normalement dans le pays. Elles sont, pour beaucoup, remplacées par des entreprises russes.
La création d’un califat dans le pays est-elle réellement envisageable ?
La création d’un califat en tant que tel semble peu probable, si ce n’est pour quelques groupes d’illuminés, que ce soit au Burkina Faso, au Sahel ou au Grand Sahara. Aujourd’hui, de très importantes portions de territoire sont déjà sous le contrôle de groupes armés, à travers des frontières internationales, mais il n’y a toujours pas eu à ce jour de revendication de califat.
En revanche on assiste à l’action de groupes armés, qui parfois collaborent ou se retrouvent en concurrence. Il existe en effet de nombreux enjeux autour du contrôle de routes de contrebande et de trafics illicites transnationaux qui sont à l’œuvre dans la région.
Ce qu’il faut surtout retenir du conflit actuel, c’est la volonté des populations locales de recouvrer l’usage de leurs terres et un accès aux ressources naturelles ou de reprendre le contrôle de leurs propres territoires, ainsi que des opportunités politiques, économiques et sociales qui y sont liées.
Quelles sont alors selon vous les perspectives pour le Burkina Faso à moyen terme ?
Je suis très pessimiste vis-à-vis de la situation actuelle. La portion de territoire détenue par l’État est aujourd’hui un îlot isolé qui se résume au territoire autour de Ouagadougou, à la capitale économique Bobo-Dioulasso et aux grandes villes qui arrivent à tenir, mais que les groupes armés n’ont pas envie de prendre. En effet, ces derniers contrôlent l’ensemble des frontières du pays et pourraient donc mettre en place un blocus total du Burkina Faso en empêchant l’acheminement de vivres, d’essence et de toutes denrées de première nécessité. Mais ils ne le font pas.
Du point de vue de l’État burkinabé, à moyen terme, le but est probablement d’éliminer toutes les populations considérées comme indésirables et responsables du conflit. C’est notamment le cas des Peuls et d’autres communautés situées en périphérie du pays. C’est une dimension génocidaire qui peut également s’observer au Mali et qui se constate au Burkina depuis 2018. S’il n’existe aucun chiffre sur cette violence ciblée, elle demeure importante et va contribuer à accentuer le conflit.
L’avenir du Burkina pourrait se comparer avec la situation de l’Est de la République démocratique du Congo, qui fait face depuis le début des années 2000 à l’installation d’un conflit de basse intensité, asymétrique sur les enjeux transfrontaliers, avec une mainmise des groupes armés sur les enjeux d’approvisionnement économique majeurs, sur les trafics et les ressources naturelles, et avec la volonté de faire perdurer une insécurité qui assure un revenu économique à une partie de la population qui n’y avait pas droit au cours de la période de stabilité précédente.
Propos recueillis par Alicia Piveteau le 12 juin 2023.
Notes
(1) Libération, 27/03/2023 (https://rb.gy/1tctl).
(2) Libération, 2/04/2023 (https://rb.gy/xcnk1).
(3) Ouest-France, 14/11/2020 (https://rb.gy/6e8ux).