Pour faire face à ces enjeux, un nouveau pacte politique avec l’État est nécessaire. Le Congrès de Guyane a adopté en juin 2023 un projet de statut d’autonomie, avec d’importants transferts de compétences (y compris normatives) et de ressources financières. Les élus locaux entendent co-construire leur avenir au sein de la République française, en obtenant de nouvelles marges de manœuvre. Ils souhaitent désormais gérer les ressources de leur territoire dont chacun connaît la richesse, en combinant développement et préservation de la biodiversité. Ils s’insurgent contre l’orpaillage clandestin et autres trafics illicites qui prospèrent y compris au sein du parc national. Ils ont conscience de l’atout que constitue le centre spatial de Kourou pour l’attractivité du territoire, mais exigent qu’il ait un effet d’entraînement plus fort sur l’économie locale. Enfin, le développement de celle-ci passe par un renforcement de la coopération avec le Brésil et le Suriname. Pour l’État, l’enjeu n’est pas moins aigu : le rayonnement de la France à travers, notamment, le port spatial européen et la biodiversité amazonienne, appelle de la stabilité politique, de la cohésion sociale et un meilleur partage des richesses.
L’Amérique latine est considérée comme un angle mort de la diplomatie française. Dans quelle mesure les Antilles françaises et la Guyane pourraient-elles servir de vecteur de l’influence française dans le continent latino-américain ?
À l’évidence, le désengagement relatif de la France en Amérique latine avec laquelle elle ne commerce qu’à hauteur de 5 % de ses échanges extérieurs, ne peut être compensé par l’influence de ses départements français des Amériques (DFA). En faisant le choix du continent africain, qui concentre les deux tiers des moyens d’intervention de l’Agence française du développement (AFD), la France prend le risque de moins peser dans les affaires du continent latino-américain où elle bénéficie pourtant d’un capital de sympathie important. Heureusement, le réseau éducatif, scientifique et culturel ainsi que la présence économique de quelques champions nationaux y entretiennent une forme de résilience, mais la relation UE/Amérique latine surclasse désormais les rapports bilatéraux.
Dans ce contexte, la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique ne peuvent être au mieux qu’un relais marginal de cette influence française. Des accords existent avec les universités de plusieurs pays latino-américains et des échanges d’étudiants ont lieu bon an mal an. Toutefois, le projet récurrent de faire des universités de Guyane et des Antilles des centres d’excellence pour l’apprentissage du français langue étrangère et la formation continue des enseignants latino-américains de français ne s’est pas encore matérialisé. Pour autant, les élus guyanais et antillais pourraient davantage être associés à la mise en œuvre de la politique française en Amérique latine, y compris dans les organisations régionales. Dans le passé récent, quelques expériences positives ont eu lieu à la Communauté des États latino-américains et caraïbes (CELAC) et à l’Association des États de la Caraïbe (AEC). Il est temps de les reconduire pour accroître la visibilité régionale des élus locaux.
Si les départements et territoires d’outre-mer peuvent servir de vecteur d’influence à la France, ils sont aussi des sources de vulnérabilités, notamment en termes de souveraineté. On pense notamment à l’île de Clipperton dans le Pacifique, qui attire pour ses riches zones de pêche, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie, qui intéresseraient la Chine, à l’orpaillage illégal en Guyane ou aux îles éparses de l’océan Indien revendiquées par Madagascar. Quid de la réalité de ces vulnérabilités ? Quels sont les territoires les plus menacés ?
D’une manière générale, les territoires les plus convoités sont ceux dont la valeur géopolitique est la plus élevée et où la légitimité de la France est remise en question. Dans le premier cas de figure, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie suscitent précisément la convoitise de la Chine en raison du basculement stratégique vers l’Indo-Pacifique, mais aussi et surtout parce que la question de l’indépendance constitue le vecteur structurant des échanges partisans insulaires. Dans le second, Clipperton est cité en exemple (même si des accords de pêche avec le Mexique ont été signés et renouvelés) parce que la Marine française ne peut y patrouiller régulièrement. L’orpaillage clandestin prospère en Guyane parce que les forces de l’ordre ne peuvent couvrir efficacement une forêt amazonienne incommensurable. S’agissant des îles éparses qui ont été séparées de la « grande île » juste avant son indépendance, des discussions sont en cours avec les autorités malgaches pour parvenir à une solution commune. Dans tous les cas, la réduction des « vulnérabilités » passe par un dialogue politique constructif et le rétablissement de la confiance entre les parties concernées.
Propos recueillis par Thomas Delage le 27 juillet 2023.
Légende de la carte en première page : Dans un contexte international où les échanges maritimes et le contrôle des mers deviennent un enjeu économique prioritaire, les territoires ultramarins de la France devraient faire l’objet d’une insertion accrue dans l’économie mondiale. C’est ce que concluait en 2022 la délégation sénatoriale aux outre-mer qui a formulé 40 recommandations, compte tenu des potentialités encore inexploitées des zones maritimes ultramarines et afin de faire de la prochaine stratégie maritime 2023-2029 le moteur de la transition économique en outre-mer. (© Port Réunion)