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La France après la LPM : un partenaire crédible pour les Européens ?

La Revue stratégique nationale de 2022 déclarait simplement que la France et l’ensemble des pays européens « partagent les mêmes enjeux de sécurité(1) ». On peut donc s’attendre à ce que le modèle de force de nos armées soit adapté pour répondre aux besoins de sécurité vitaux de nos alliés. L’objectif stratégique no 5 est d’ailleurs intitulé « La France, allié exemplaire dans l’espace euro-atlantique  » et le no 7, « pourvoyeuse de sécurité crédible  » sans que l’on ne sache vraiment s’il s’agit de buts à atteindre ou d’une situation à préserver. Si ce n’était pas le cas dès à présent, la LPM permettrait-elle de répondre à cet objectif Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce constat n’est pas universellement partagé par les dirigeants ni par les spécialistes des différents pays d’Europe. En Europe centrale en particulier, les critiques fusent contre la France, et en particulier son président.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’attention de tous les décideurs européens s’est brutalement concentrée sur les questions de défense. Le continent que certains avaient, un peu trop rapidement, espéré éternellement en paix paraît désormais directement menacé par une puissance militaire révisionniste, impérialiste et agressive. Déjà partiellement interrompu dans certains pays après l’invasion russe de la Crimée, ou même la guerre russo-géorgienne, le désarmement progressif de l’Europe semble avoir connu un arrêt brutal. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, la question politique majeure pour de nombreux gouvernements est celle de leur pays, et de la défense du continent européen.

La défense de la France repose sur plusieurs piliers ; la dissuasion nucléaire en est un, son réseau d’alliances en est un autre. Pour être durable, ce réseau d’alliances ne peut être à sens unique : nos alliés doivent également y trouver leur compte pour que leurs citoyens consentent sur la durée aux efforts nécessaires. Nos alliés d’Europe centrale, ou de Scandinavie, ont conservé une mémoire vive et douloureuse d’une époque où la France promettait beaucoup de garanties de sécurité, mais ne s’était pas dotée d’un modèle de force lui permettant de concrétiser ces promesses. De Prague à Helsinki, en passant par Varsovie, l’histoire n’est pas oubliée. L’objet de cet article est d’étudier comment la LPM répond, ou ne répond pas, aux attentes de nos alliés (que nous les trouvions pertinentes ou non). La perception de notre capacité à réaliser nos garanties sécuritaires ayant un impact direct sur notre capacité à exporter, alors même que l’export permet l’équilibre d’un autre pilier de notre défense– notre base industrielle de défense –, sachant que l’offre de garanties de sécurité est l’un des premiers éléments discriminants pour nos alliés lorsqu’il s’agit d’acquisitions de matériels.

Les atrocités commises par les Russes en Ukraine ont provoqué une évolution des attentes des alliés au contact direct de la Russie et de la Biélorussie : il n’est désormais plus question d’échanger du territoire contre du temps pour permettre aux Américains d’amener des renforts en Europe. Varsovie n’est qu’à quelques heures de Brest-Litovsk et Vilnius ou Gdansk sont encore plus proches. La question n’est donc pas seulement de savoir si les Américains viendraient, mais de savoir si les Européens pourraient venir avec suffisamment de forces, et suffisamment rapidement, pour préserver un nombre important de vies humaines.

Ils ne peuvent pas non plus attendre que nos forces aériennes parviennent à provoquer une attrition importante du potentiel de combat adverse. Mission d’autant plus difficile qu’il faudrait alors combattre dans les rues de capitales européennes elles-mêmes, face à une solide défense antiaérienne qu’il faudrait préalablement réduire. Le général Yakovleff le rappelait il y a quelques mois : notre modèle occidental de frappe à longue distance est inadapté au combat urbain dans les villes de nos alliés, puisqu’il entraînerait vraisemblablement la destruction de celles-ci(2). Le modèle de forces que nos alliés espèrent de nous doit permettre d’éviter au maximum la capture de ces villes, mais aussi de les reprendre le cas échéant. Les forces européennes ne peuvent se passer d’importants moyens terrestres.

Notre modèle de force expéditionnaire mais échantillonnaire trouve ici rapidement une limite : les armées françaises ne disposent pas d’endurance, et la LPM ne prévoit aucune amélioration sur ce plan(3). « Le projet de loi pérennise essentiellement un format hérité de l’après-guerre froide visant à conserver des capacités sur tout le spectre, au prix d’un échantillonnage des moyens conventionnels qui n’est soutenable qu’en temps de paix(4) » et nos partenaires le savent. Pis, l’annonce de la réduction de la cible des véhicules du programme SCORPION a considérablement choqué les observateurs. Au moment où la plupart des pays européens songent à se doter de davantage d’équipements, la France semble ainsi réduire encore les capacités conventionnelles qui pourraient venir soutenir ses partenaires.

Une part importante du budget de la LPM va être absorbée par plusieurs programmes majeurs tels que le futur porte-avions, qui est perçu soit comme redondant par rapport aux moyens américains, soit comme ne contribuant pas directement à la sécurité de nos alliés. Il est en effet douteux qu’il soit engagé dans la Baltique, et il ne peut simplement pas être engagé en mer Noire(5). Une part encore plus importante de la LPM est consacrée à la modernisation de la dissuasion nucléaire française, au travers des programmes ASN4G et SNLE3G. Malheureusement, la plupart de nos partenaires européens continuent de considérer que la protection offerte par la dissuasion nucléaire française n’est pas garantie (6). Certaines déclarations récentes du président de la République ne font rien pour changer cette appréciation (7).

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