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La France après la LPM : un partenaire crédible pour les Européens ?

La France, qui souhaite présenter une alternative au Sky Shield Initiative allemand, ne peut pas se permettre de se sous-doter en matière de défense antiaérienne. L’initiative allemande est ainsi appuyée à la fois par l’intégration de systèmes américains dans le programme, mais aussi par par le déploiement de Patriot PAC‑3 en Slovaquie, ainsi que par le don de systèmes MANTIS de très courte portée à ce même pays. Surtout, l’Allemagne semble vouloir engager les crédits nécessaires pour acquérir ces systèmes en plus grand nombre. Si la France décidait d’avoir un socle large de capacités sur l’ensemble des couches de la défense aérienne, elle pourrait non seulement déclarer à ses partenaires qu’elle peut participer à un secteur clé de leur sécurité, dans lequel ils ont justement des lacunes, mais également favoriser son industrie dans une compétition mal engagée. Si nous attendons trop longtemps pour engager des crédits, les arguments, valables, présentés par la France, seront inaudibles.

Pour être crédible, notre unique régiment de défense aérienne doit être renforcé, d’abord numériquement. S’il est sans doute impossible de se doter d’un autre régiment complet, l’ajout de compagnies rendrait son gonflement plus simple au niveau des ressources humaines. Mais sa crédibilité dépend surtout de l’acquisition de nouveaux moyens, lui permettant de couvrir d’autres couches de la défense aérienne tactique, à l’aide, par exemple de VL MICA. Ils pourraient ainsi accompagner une force terrestre dans un conflit où l’armée de l’Air risque déjà de voir ses maigres moyens occupés par la protection du territoire et des installations stratégiques. La guerre en Ukraine nous enseigne que l’on ne peut pas toujours faire l’économie de cette redondance de moyens.

Du côté du Royal Artillerie, alors que la France souhaite étudier la possibilité de développer un successeur au LRU, il est difficile d’imaginer qu’il soit financièrement pertinent de développer toute une gamme de missiles pour n’en acheter finalement que 13, ou même 26(12). Le problème étant que si nous sommes les seuls à nous en doter, leur prix risque de rendre leur emploi particulièrement onéreux, et nos alliés pourront à raison nous demander s’il s’agit d’une juste utilisation de nos moyens.

Plutôt que de persister à se présenter comme une « uissance d’équilibre », la France, du fait de ses moyens industriels et militaires, a également l’option d’être une puissance de proposition. Avec des moyens aussi limités, elle ne peut plus se permettre de laisser planer un doute quant à son implication vis-à‑vis de ses alliés. La multiplication des exercices avec nos partenaires, que ce soit en France ou directement chez eux, en plus de fournir de nombreux retours d’expérience, permettra, tout comme une communication politique plus claire et réellement à l’écoute des craintes de nos alliés, de leur montrer que nous avons réellement fait évoluer notre disponibilité. Les Français, connus pour aimer se mêler de tout, ne supporteraient de toute façon pas de rester longtemps en dehors d’opérations décidant du sort de l’Europe. Faisons en sorte que les Européens s’en réjouissent.

Notes

(1) Revue nationale stratégique 2022, p. 41.

(2) Conférence « La tactique au XXIe siècle : anatomie de la bataille contemporaine » (https://​www​.youtube​.com/​w​a​t​c​h​?​v​=​K​-​x​J​b​F​m​5​6​w​Q​&​t​=1s).

(3) Stephanie Pezard, Michael Shurkin et David A. Ochmanek, A strong Ally Stretched Thin : An Overview of France’s Defense Capabilities from a Burdensharing Perspective, RAND, Corporation, Santa Monica, 2021.

(4) Élie Tenenbaum, « Armées françaises : les limites de la stratégie de club », Éditoriaux de l’IFRI, 26 mai 2023.

(5) La convention de Montreux interdit le franchissement des détroits par des porte-avions.

(6) Lire notamment : Liviu Horovitz et Lydia Wachs, « France’s Nuclear Weapons and Europe », SWP Comment, no 15, 15 mars 2023.

(7) Lors d’une interview télévisée sur France 2, le 12 octobre 2022, Emmanuel Macron avait ainsi déclaré : « a France a une doctrine nucléaire. Elle repose sur les intérêts fondamentaux de la nation… Ce n’est pas du tout ça qui serait en cause s’il y avait par exemple une attaque balistique nucléaire en Ukraine ou dans la région. Nous avons un cadre pour ce qui nous concerne. »

(8) Rapport annexé à la Loi de programmation militaire 2024-2030, p. 6.

(9) Assemblée nationale, audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées, sur le projet de Loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, 5 avril 2023.

(10) Ben Barry et collab., « The Future of NATO’s European Land Forces : Plans, Challenges, Prospects », IISS Resarch Papers, juin 2023 (https://​www​.iiss​.org/​r​e​s​e​a​r​c​h​-​p​a​p​e​r​/​2​0​2​3​/​0​6​/​t​h​e​-​f​u​t​u​r​e​-​o​f​-​n​a​t​o​s​-​e​u​r​o​p​e​a​n​-​l​a​n​d​-​f​o​r​ces)

(11) Douglas Barrie, Nick Childs, Yohann Michel, Ester Sabatino et Ben Schreer, « Northern Europe, The Artic and the Baltic : The ISR Gap », IISS Resarch Papers, décembre 2022 (https://​www​.iiss​.org/​r​e​s​e​a​r​c​h​-​p​a​p​e​r​/​2​0​2​2​/​1​2​/​n​o​r​t​h​e​r​n​-​e​u​r​o​p​e​-​t​h​e​-​a​r​c​t​i​c​-​a​n​d​-​t​h​e​-​b​a​l​t​i​c​-​t​h​e​-​i​s​r​-​gap)

(12) Assemblée nationale, audition de M. le général de brigade aérienne Cédric Gaudillière, chef de la division « ohérence capacitaire » de l’état-major des armées, sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, 13 avril 2023.

Légende de la photo en première page : Démonstration de mobilité d’un PT-91. La Pologne et plusieurs Etats d’Europe centrale s’est positionnée dès avril comme un fournisseur de matériels lourds à l’Ukraine. (© Krysek/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°91, « Loi de programmation militaire, face aux leçon de la guerre d’Ukriane », Août-Septembre 2023.
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