Un engagement américain dans de nouveaux domaines
Cette asymétrie pourrait s’avérer plus problématique encore du fait des évolutions politiques aux États-Unis. À très court terme, la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2024 va exacerber les débats et mettre en lumière les positions les plus radicales au sein de la classe politique américaine. Dans ce contexte, l’enjeu pour les Européens sera d’empêcher la relation transatlantique de devenir l’objet de crises partisanes entre Républicains et Démocrates. Pour cela, les alliés européens cherchent à montrer que l’engagement des États-Unis en Europe sert bien les intérêts américains.
Cet effort est rendu plus difficile du fait de désaccords transatlantiques importants sur plusieurs dossiers économiques sensibles. Le prix de l’énergie — qui avait conduit Emmanuel Macron à exprimer publiquement sa frustration concernant le coût des importations de GNL américain (8) — pourrait alimenter de nouvelles tensions lors de l’hiver prochain. L’Inflation Reduction Act, loi votée à l’été 2022 par le Congrès et offrant des subventions et avantages fiscaux importants aux entreprises américaines dans le cadre de la transition énergétique, est perçu comme un acte de concurrence déloyale par les dirigeants européens, qui préparent une riposte. Enfin, le financement de la reconstruction de l’Ukraine, qui s’élèvera à plusieurs centaines de milliards d’euros, et la vitesse du processus d’adhésion à l’UE, font déjà débat au sein de la relation transatlantique.
Néanmoins, les États-Unis sont également dépendants de la relation transatlantique pour faire face à leurs nouvelles priorités stratégiques. Washington compte ainsi sur ses alliés pour contenir les velléités politiques, économiques et technologiques de la Chine dans le monde. Alors que la compétition avec Pékin définit leur politique étrangère, les États-Unis entendent donc accélérer la convergence des perspectives américaines et européennes sur le sujet. De même, l’Europe apparaît comme un partenaire indispensable à toute politique environnementale ambitieuse à l’échelle internationale, et les différentes administrations américaines ne peuvent se passer de son soutien dans les instances internationales.
Les États-Unis, qui n’ont jamais « quitté » l’Europe, sont donc à la fois plus présents face à la menace russe, et souhaitent renforcer la coordination politique avec les Européens pour affronter la compétition stratégique de Pékin. Les décisions prises depuis le début de la guerre en Ukraine ne doivent toutefois pas laisser penser à un retour à une période pré-1991, et les modalités de la présence américaine vont continuer à s’adapter aux défis du XXIe siècle.
Notes
(1) Données de l’agence américaine pour le développement international (https://www.foreignassistance.gov/aid-trends).
(2) Mateusz Morawiecki, entretien pour France 24, 18 février 2023 (https://rb.gy/buortf).
(3) Jake Sullivan, entretien sur ABC News, 26 février 2023.
(4) Concept Stratégique 2022 de l’OTAN, juillet 2022, p. 8 (https://rb.gy/rdkwyw).
(5) Infographie du Conseil européen (https://rb.gy/kpoxdd).
(6) Josep Borrell, « Discours d’ouverture à la Conférence annuelle des ambassadeurs de l’Union européenne », 10 octobre 2022 (https://rb.gy/83r6zh).
(7) « U.S. National Defense Strategy 2022 » (https://rb.gy/l68gku).
(8) Barbara Moens, Jakob Hanke Vela et Jacopo Barigazzi, « Europe accuses US of profiting from war », Politico, 24 novembre 2022 (https://rb.gy/aavjah).
Légende de la photo en première page : Tandis que, le 21 décembre 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky était reçu à la Maison-Blanche par son homologue américain, c’est ce dernier qui se rendait en visite « surprise » à Kyiv le 20 février 2023 (ici en photo), en amont d’un déplacement en Pologne, pour réaffirmer la détermination des États-Unis à défendre les pays du flanc oriental de l’Europe en cas d’agression russe. (© White House/Adam Schultz)
