Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Les systèmes agricoles et alimentaires maghrébins à l’épreuve des crises

La crise sanitaire de 2020-2021, et plus récemment la crise ukrainienne, ont révélé, d’une part, la vulnérabilité alimentaire des pays du Maghreb et, d’autre part, l’incapacité des politiques publiques agricoles mises en œuvre à résoudre les questions du développement agricole durable.

Il convient de noter, en premier lieu, une faiblesse significative des dotations naturelles. Les terres cultivables des trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) sont en grande partie localisées dans le triangle aride et semi-aride. Les processus de sécheresses récurrentes qui les affectent aujourd’hui entraînent des situations de pénurie d’eau agricole. Les agricultures sont fortement confrontées au stress hydrique et l’eau mobilisée par les barrages plafonnent au cours de ce printemps 2023 à 30-35 % de leurs capacités. On sait que la mobilisation des eaux superficielles et souterraines exploitables a atteint son plafond depuis des années et qu’il y a aujourd’hui un recours croissant aux eaux souterraines à un rythme incompatible avec les capacités de renouvellement des ressources (1). L’empreinte hydrique interne (2) est élevée au Maroc (71 %) et en Tunisie (68 %), pays qui exportent tous deux indirectement de l’eau virtuelle contenue dans les cultures d’exportation (huile d’olive, tomates, agrumes, haricots verts, fraises, melons et pastèques).

Il convient également d’observer une tendance lourde à la dégradation des sols et des eaux sous l’effet de l’érosion et de la salinisation, de la désertification et des incendies de forêts. Au Maroc, le tiers des terres agricoles risque de devenir inexploitable d’ici à 2050 en raison de l’étalement urbain et des pertes de terres agricoles (3) et, en Tunisie, 8 % du territoire sont déjà affectés par un changement d’occupation du sol et par une artificialisation croissante (4). Si l’on note que l’appauvrissement de la biodiversité affecte gravement les trois pays (5), les processus de dégradation seraient à la limite de la réversibilité et de la capacité de résilience de certains écosystèmes (montagne, steppe, oasis).

Des ressources naturelles menacées par les changements climatiques

Le réchauffement climatique est en effet plus important dans la région du Maghreb que la moyenne mondiale. Si, au niveau mondial, la hausse de la température au XXsiècle a été de 0,74°C, celle de la région Maghreb s’est située entre 1,5 et 2°C selon les régions. Un processus de descente d’étages bioclimatiques est constaté dans les pays du Maghreb, avec une tendance à l’extension de l’étage aride, semi-aride et même de l’étage saharien, depuis des décennies. Les experts signalent même le risque de quasi-disparition de l’étage humide d’ici à 2100 dans les pays du Maghreb (6). Face à ces perspectives, une diminution (en valeur) des productions de 21 % d’ici à 2080 est attendue selon les experts pour l’ensemble de la production agricole méditerranéenne, avec un pic de diminution à environ 40 % au Maroc et en Algérie (7).

À ces faibles dotations en ressources naturelles menacées par les changements climatiques s’ajoutent des structures agraires défavorables, aggravant la difficulté d’accès des paysans à la terre et favorisant une pression anthropique sur les ressources. Il y a lieu en effet de faire observer l’existence dans les trois pays, mais à des degrés plus prononcés en Tunisie et au Maroc, d’un fort dualisme des structures agraires, avec une tendance à la concentration des terres et du capital, se traduisant par des évolutions très contrastées entre les secteurs de la petite agriculture familiale et un secteur d’agriculture dit « moderne ». Au Maghreb, plus des deux tiers des exploitants ont moins de 10 hectares en culture pluviale et occupent en moyenne dans chacun des pays approximativement le tiers des surfaces cultivées. Partout se sont donc développées dans la région, à des degrés plus ou moins avancés, des exploitations de grande ou moyenne dimension (extensives sur les zones pluviales, intensives en irrigué), coexistant aux côtés d’une petite agriculture familiale caractérisée par une population nombreuse, sous-employée et déployant des stratégies de survie.

À propos de l'auteur

Omar Bessaoud

Professeur d’économie agricole, membre correspondant associé de l’Académie d’agriculture de France et administrateur scientifique principal au Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM) de Montpellier.

0
Votre panier