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Les systèmes agricoles et alimentaires maghrébins à l’épreuve des crises

Une situation alimentaire relativement favorable : une dépendance croissante

L’examen des données portant sur la prévalence de la sous-alimentation établies par les organisations internationales confirme des progrès spectaculaires des pays du Maghreb dans le domaine de la sécurité alimentaire (8). Moins de 2,5 % de la population algérienne souffre de sous-alimentation, 3 % en Tunisie et 4,2 % au Maroc, quand ce niveau se situe à 8,5 % au niveau mondial. Si l’amélioration de la ration alimentaire des populations de la région s’est réalisée en partie à la faveur de soutiens au pouvoir d’achat alimentaire et d’une croissance modérée mais réelle de l’offre agricole, y compris de produits de base comme le blé ou le lait, elle repose toujours davantage sur les importations des produits de base (blé, huiles alimentaires, sucre et produits laitiers).

La dépendance alimentaire des pays du Maghreb vis-à-vis des marchés mondiaux reste élevée, en particulier sur les produits de base comme les céréales. Le ratio de dépendance céréalière des pays du Maghreb reste relativement élevé. L’Algérie dépend de 75 % des importations pour couvrir ses besoins et, dans les deux autres pays du Maghreb, le ratio de dépendance céréalière se situe à moins de 60 %. Les importations de céréales ont atteint en Algérie près de 11 millions de tonnes au total (dont 6,6 millions de tonnes de blé tendre) durant la campagne commerciale de juin 2021 à mai 2022. Près de 5 millions de tonnes ont déjà été importées au milieu de la campagne commerciale de 2022-2023. Au Maroc, ce sont près de 8 millions de tonnes de céréales qui ont été importées en 2021-2022 et près de 4,8 millions de tonnes entre juin et décembre 2022. Enfin, les importations de céréales de la Tunisie se sont élevées au total à plus de 3,4 millions de tonnes de céréales lors de la campagne commerciale de 2021-2022. Elles pourraient connaître une sensible augmentation au cours de la nouvelle campagne commerciale en raison des menaces liées à la sécheresse qui pèsent sur la prochaine récolte 2022-2023.

Les balances commerciales agricoles sont déficitaires dans les trois pays du Maghreb. En Tunisie, la balance commerciale alimentaire a enregistré au cours de l’année 2022 un déficit de 2920,2 millions de dinars tunisiens (MD) (964 millions de dollars) contre un déficit de 1942,1 MD durant l’année précédente, enregistrant ainsi un taux de couverture de 67,4 % en 2022 contre 70,2 % en 2021 (9). Les exportations agricoles du Maroc, qui ont atteint un chiffre record en 2022 de 81,2 milliards de dirhams (DH) (plus de 8 milliards de dollars) (10), n’ont pas empêché un déficit de la balance commerciale agricole qui s’est élevé à un peu plus de 500 millions de dollars (11). Le déficit de la balance commerciale agricole est relativement connu : l’Algérie, qui importe en moyenne annuelle autour de 8,5 milliards de dollars, n’a pas pu enregistrer plus de 500 millions de dollars au cours de ces dernières années. Qu’en-est-il de la sécurité alimentaire au cours de ces dernières années marquées par la crise sanitaire (Covid-19) et les bouleversements des marchés mondiaux résultant de la guerre Russie-Ukraine déclenchée le 24 février 2022 ?

La sécurité alimentaire à l’épreuve des crises anitaires et de la guerre

La conjoncture économique marquée par la crise sanitaire de 2020 exercera des effets majeurs sur le fonctionnement des économies locales mais aussi sur les marchés mondiaux. Affirmons d’emblée que même si les aides accordées aux familles n’ont pu ni empêcher une dégradation sensible de la condition des exploitants agricoles dans les trois pays du Maghreb ni absorber le choc provoqué par la pandémie, les populations du Maghreb n’ont globalement pas été confrontées, au cours de la crise sanitaire, à des situations d’insécurité alimentaire. L’offre agricole locale a été régulièrement et efficacement relayée par les importations afin d’approvisionner les villes et les campagnes. Les subventions alimentaires accordées aux produits de base ont été décisives dans la couverture des besoins alimentaires et les dysfonctionnements dans les circuits de distribution, intervenus depuis le déclenchement de la crise sanitaire, n’ont pas remis en question la capacité respective des États à garantir aux populations un accès aux biens alimentaires stratégiques.

Les États qui avaient pris le soin de s’approvisionner sur les marchés mondiaux ont consenti à des efforts budgétaires particuliers et les dépenses publiques des États pour importer les produits de base ont été particulièrement coûteuses (12). Cette crise des marchés sera entretenue par le conflit ukrainien, ce qui incitera les pouvoirs publics des trois pays de la région à diversifier ses sources d’approvisionnement afin de moins dépendre des blés originaires de la mer Noire et de reconstituer en continu les stocks alimentaires. Face à la crise politique ouverte par le conflit qui oppose l’Ukraine à la Russie, cette région a réussi à couvrir ses besoins dans le court terme au prix, d’une part, d’une mobilisation croissante de ressources budgétaires et, d’autre part, d’un redéploiement de ses sources d’approvisionnement.

À propos de l'auteur

Omar Bessaoud

Professeur d’économie agricole, membre correspondant associé de l’Académie d’agriculture de France et administrateur scientifique principal au Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM) de Montpellier.

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