Les vingt dernières années ont vu la démocratisation du terme « génération » pour catégoriser et classer les avions de combat, un avion de 5e génération étant logiquement plus capable qu’un avion de 4e génération.
Cette classification, si elle se base sur une réalité historique, masque aussi une volonté de simplification d’une réalité bien plus complexe. Si la simplification tolère une communication plus aisée vis-à‑vis du grand public, elle permet également à des acteurs puissants, usant d’outils marketings éprouvés, d’induire des concepts biaisés au travers d’arguments parfois fallacieux, prenant au piège les différents niveaux politiques et médiatiques, qui ne disposent pas des outils pour les remettre en cause.
Il faut faire un travail d’historien pour trouver les prémices de l’usage du terme « génération » lorsque l’on parle des avions de combat. Beaucoup de publications d’intellectuels américains liés au milieu de la défense nous éclairent sur le contexte dans lequel ce terme était employé, et l’usage qu’ils en faisaient. Parmi les dizaines de travaux consultables, on peut citer le très intéressant « World Combat Aircraft Inventories and Production : 1970-1975 » (1), document confidentiel à destination des agences gouvernementales rédigé en 1970 par l’Arms Control Project au sein du MIT, ou encore « The New Old Threat : Fighter Upgrades and What They Mean for the USAF » (2), une thèse publiée en 1995 au sein de l’Illinois State University.
À l’origine du concept
Dans ces deux documents, le terme « génération » est utilisé pour décrire la réalité, et sert d’outil pour établir une classification (voir illustration page suivante). C’est ainsi que les auteurs créent des ensembles cohérents de modèles d’avions de combat, qu’ils séparent ensuite en fonction de certains critères. Des évidences émergent, comme le fait qu’une nouvelle génération d’avion en remplace une ancienne, ou que leurs caractéristiques, selon qu’elles sont comparables ou non, permettent de grouper ou de dissocier des modèles d’avions. Mais à ce moment-là de l’histoire, il n’existe pas de convention commune qui fasse consensus au sein des commentateurs pour définir précisément ce qu’est une génération ou pour établir un classement comme on peut le voir aujourd’hui.
Si le terme « génération » est utilisé dans le même but et avec des méthodes similaires dans les deux publications, et ce afin d’appuyer le développement d’une idée, les caractéristiques choisies ne sont pas les mêmes, ce qui donne des classements très différents. Curieusement, ce sont les travaux publiés en 1974 qui sont les plus proches de la classification actuelle, avec une première génération sélectionnée parmi les productions d’avions post-Seconde Guerre mondiale, et qui se termine par les futurs avions de 4e génération que seront les F‑14 et F‑15 alors sur le point d’entrer en service. En ce qui concerne la publication de 1995, l’auteur démarre la classification en incluant des avions post-1939, inclut d’autres caractéristiques, et sépare les premières et dernières versions de certains appareils en deux générations distinctes (Mirage III et MiG‑21 se retrouvant à la fois dans la 4e et dans la 5e génération).
En 1998 dans une thèse (3) voulant défendre la pertinence du F‑22 pour maintenir la domination aérienne, John W. Day fait mention d’autres avions de 5e génération qui vont entrer en production, notamment l’Eurofighter Typhoon ou deux variantes du Su‑27, le Su‑30 et le Su‑35. Le concept de « génération » se réfère alors plus à la chronologie des productions qu’à une liste arbitraire de caractéristiques physiques ou de performances recherchées.
En comparaison, dans un article titré « The Sixth Generation Fighter » paru en octobre 2009 dans Air Force Magazine (4), où la question de la classification est centrale, la définition et le nombre de générations ne sont plus le résultat d’une observation ou d’une volonté d’organiser plus simplement la complexité du réel. La classification en générations est désormais considérée à la fois comme un fait historique et comme une convention qui fait désormais consensus. Une génération n’est plus seulement qualifiée par le fait qu’un type d’avion plus récent en remplace un plus ancien, mais seulement du fait de ses caractéristiques propres, attachées par défaut à cette convention.