De l’observation à l’usage marketing
Utilisé jusqu’alors comme un qualificatif né d’une observation, l’usage du terme « génération » a donc commencé à devenir un qualificatif qualitatif. En quelques années, ce n’est plus l’avion qui fait la génération, mais la génération qui fait l’avion. On peut retrouver les prémices de ce changement de paradigme dans un document de Lockheed Martin Aeronautics publié en novembre 2000 sous le nom d’« Affordable Stealth » (5) qui, même s’il ne mentionne pas une seule fois le terme de 5e génération, insiste sur les caractéristiques propres au F‑22 qui permettent à l’USAF de garder sa supériorité absolue, y compris face à des nations équipées d’avions chronologiquement tout aussi récents que le F‑22. Les caractéristiques censées offrir la suprématie aérienne au F‑22 sont les suivantes :
• une faible signature radar et infrarouge (« stealth or low observability » dans le texte), souvent résumée sous le terme de « furtivité » ;
• la capacité à voler en supercroisière, autrement dit à atteindre et à maintenir une vitesse supersonique sans utiliser de postcombustion ;
• une grande agilité à toutes vitesses et à toutes altitudes ;
• une avionique avancée permettant une meilleure appréciation situationnelle ;
• un haut taux de disponibilité de l’appareil (« supportability » dans le texte).
En 2001, un autre article d’Air Force Magazine (6) est un des premiers à employer deux expressions qui ont fait beaucoup d’heureux du côté des services de communication de Lockheed Martin : « véritable avion de 5e génération » pour désigner le F‑22, et « avions de génération 4.5 » pour désigner tous ses concurrents. En raison du niveau de menaces opposé à la supériorité aérienne américaine par des avions extrêmement récents qui sont alors sur le point d’entrer en service, comme les Typhoon, Rafale ou Su‑35, tous supérieurs aux F‑16 et F‑15, le F‑22 est le seul et unique véritable avion de nouvelle génération à entrer en service, et le restera pour les 20 années suivantes.
Cette description met les commentateurs face à un dilemme. S’il est incontestable que l’entrée en service de la flotte de F‑22 constitue la 5e génération d’avions de supériorité aérienne depuis la création de l’US Air Force en 1947, un choix vient d’être fait. Celui d’associer au numéro cinq une absolue supériorité. Il n’est donc plus possible de pouvoir qualifier les avions qui pourraient devenir des opposants comme étant de 5e génération, et c’est ainsi qu’est née la nécessité de créer des paliers intermédiaires. Dans le contexte (américain) dans lequel l’article de 2001 a été écrit, et dans lequel des officiers de l’USAF ont été cités, le parti pris, bien qu’opposable, s’appuie néanmoins sur une certaine logique, aussi arrogante puisse-t‑elle paraître en dehors des États‑Unis.
À partir de ce moment, le terme de 5e génération n’est plus associé aux avions devant remplacer la 4e génération. Plus encore : pour avoir le droit d’intégrer cette classification, il n’est même plus nécessaire de remplir la liste des critères (arbitraires) jusqu’ici associés à la 5e génération. En effet, si les concurrents russes et européens se voient nier le tampon « 5th Gen » et reléguer au rang de « génération 4.5 » ou « génération 4+ », il est dans le même temps hors de question de refuser cette précieuse étiquette au nouveau Joint Strike Fighter (futur F‑35), quand bien même il ne respecte pas non plus cette liste de caractéristiques « supérieures ». Nous parlons dès lors d’un terme purement qualitatif. Un avion de 5e génération est tout simplement supérieur à un avion de 4e génération, indépendamment des missions qu’il doit remplir ou de ses caractéristiques et performances propres. Cette simplification, usée jusqu’à la corde par les services de communication, repousse la qualité des débats jusqu’à l’absurde (voir illustration ci-contre), mais permet désormais d’imposer une pensée simple, qui sert un discours rodé. Là se trouve l’une des plus grandes armes de la 5e génération.