Au lieu d’être « seulement » capables d’opérer ensemble, les armes et les soldats des différents alliés deviendraient, justement, interchangeables. Les doctrines, les logistiques, les formations et les équipements seraient harmonisés au point que les armées pourraient fonctionner, pour reprendre l’expression d’Ashley Townshend, l’un des experts australiens les plus cités, « de manière agnostique aux nationalités (11) ». Or, à l’occasion des consultations annuelles de l’OTAN nommées Allied Warfighter Talks, le chef d’état-major adjoint des forces armées américaines, l’amiral Christopher Grady, a présenté ce modèle comme un idéal en parlant de l’avenir de l’Alliance atlantique : « L’interopérabilité n’est que le point de départ. Ce que nous nous fixons comme objectif, c’est d’aller de l’interopérabilité à l’intégration et puis à l’interchangeabilité. (12) » Cela a au moins le mérite d’être dit.
Le 1er avril 2023, le site Naval News a stupéfié ses lecteurs en annonçant l’entrée de la France dans le partenariat AUKUS. Avec tout le sérieux du monde, agrémenté de quelques piques plus ou moins discrètes, l’article détaillait les tenants et les aboutissants de cette décision surprise. Un véritable scoop, connaissant le passif du volet sous-marin, qui a été repris sur plusieurs plateformes avant que l’on se rende compte que c’était un poisson d’avril. Sauf que, aussi farfelu que cela puisse paraître aujourd’hui, la réalité pourrait finir par rejoindre un jour la plaisanterie. En tout cas, une tendance nettement perceptible dans l’OTAN vise à orienter les alliés non seulement vers l’Indopacifique, mais aussi vers un modèle d’interchangeabilité qui suppose une base de défense de plus en plus intégrée dans celle des États-Unis. L’avenir nous dira si le canular de Naval News fut un excellent trait d’humour noir ou… un coup prémonitoire.
Notes
(1) Voir Mick Ryan, « AUKUS Submarine Agreement : Historic but Not Yet Smooth Sailing », CSIS, 17 mars 2023, et « Navy Columbia (SSBN-826) Class Ballistic Missile Submarine Program », Congressional Research Service, 31 mars 2023.
(2) Propos de Scott Morrison à l’Australian Defence Force Academy, à l’occasion de la présentation de la 2020 Defence Strategy Update, le 1er juin 2020.
(3) Audition de l’amiral John C. Aquilino, chef du Commandement des États-Unis pour l’Indopacifique (USINDOPACOM), à la Commission des forces armées de la Chambre des représentants du Congrès, 18 avril 2023.
(4) Interview de Pat Conroy, avec Tom Elliot, 3AWMelbourne, 14 mars 2023.
(5) « Paradigm shift ? Australia, AUKUS and the Defence Strategic Review », conférence au Lowy Institute, Sydney, 23 mars 2023.
(6) Peter Yule et Derek Woolner, The Collins Class Submarine Story, Cambridge University Press, 2008.
(7) « Transparent Oceans ? The coming SSBN counter-detection task may be insuperable », Australian National University, Indo-Pacific Strategy Series, Undersea Deterrence Project, mai 2020.
(8) « Defence Industry Roundtable Series, Report on Series 1 : Export Controls », United States Studies Center, Université de Sydney, 23 avril 2023.
(9) 2022 National Defense Strategy, U.S. Department of Defense, octobre 2022. p. 14.
(10) « Push for naval “interchangeability” will require help from industry », DefenseNews, 17 janvier 2023.
(11) « Making AUKUS Work for the U.S.-Australia Alliance », conférence du Carnegie Endowment for International Peace, Washington D.C., 16 mars 2023.
(12) « Allied Warfighter Talks Look to NATO’s Future », DoD, 8 novembre 2022.
Légende de la photo en première page : Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. L’annulation brutale de la classe Attack, développée par Naval Group, a été justifiée par le coût du programme, estimé à 90 milliards de dollars australiens pour douze bâtiments. Mais le programme AUKUS qui le remplace est désormais estimé à plus de 370 milliards de dollars australiens, pour seulement huit sous-marins… (© Naval Group)