Magazine Diplomatie

Le Moyen-Orient au défi du chaos, un demi-siècle d’échecs et d’espoirs

Affecté au ministère de l’Économie et des Finances, vous découvrez Beyrouth dans le cadre de vos fonctions d’attaché financier pour le Proche et le Moyen-Orient. À votre arrivée en 1966, vous racontez : « Je devais comprendre rapidement que rien n’est simple au Moyen-Orient. La situation était un peu plus compliquée que celle que j’avais imaginée et des nuages déjà s’accumulaient sur la région ». Quelles étaient ces menaces ? Dans quel contexte géopolitique s’inscrivaient-elles ?

À mon arrivée au Moyen-Orient, la stabilité et l’ordre régnaient à l’ombre des autocrates du haut de leurs régimes monarchiques ou républicains. Pendant cette première année, à l’exception d’une guerre civile entre les républicains et les royalistes au Yémen, ou des guérillas marxistes au sultanat d’Oman, le calme prévalait sur les tensions. Pendant l’hiver 1967, je pouvais encore aller en voiture de Beyrouth à Bagdad, en passant au retour par Mossoul, Deir ez-Zor, Rakka, Alep, Tripoli. Toutes ces villes sont désormais associées aux heures les plus sombres de l’histoire du Moyen-Orient. Dans les années 1960, la région restait l’un des champs de bataille où se jouait la guerre froide entre les grandes puissances. Les pays se répartissaient entre l’influence de l’Union soviétique, comme la Syrie, le Yémen du Sud, l’Irak et l’Égypte (jusqu’à l’arrivée du président Anouar el-Sadate en 1970), et celle des pays occidentaux à travers le pacte de Bagdad (1). Entre ces deux blocs, le nationalisme arabe de Nasser émergeait en galvanisant les foules dès la fin des années 1950. Plus tardivement, les pays pétroliers se distinguaient en réclamant leur indépendance économique et en revendiquant leur souveraineté sur leurs ressources naturelles, notamment les hydrocarbures. Rappelons qu’à cette époque, les puissances occidentales et les compagnies pétrolières étrangères, les majors, exerçaient une forte emprise sur les pays de la région. Le Premier ministre iranien Mossadegh ouvre la voie en 1964 lorsqu’il nationalise l’Anglo-Persian oil company (APOC) au péril de son poste. Il fallut peu de temps aux dirigeants britanniques, de concert avec les Américains, pour l’évincer définitivement du pouvoir.

La guerre froide était une réalité mondiale, pourtant elle ne supplantait pas la priorité régionale : la question palestinienne. Et pour cause, à la fin du printemps1967, la guerre des Six Jours fut l’étincelle qui mit un terme au faux calme qui régnait jusqu’alors.

Éprouvé par diverses crises, le Liban d’aujourd’hui semble loin de celui de 1966 que vous décrivez. Plus de cinquante ans après, dans quelle mesure les séquelles de son histoire enveniment-elles toujours son présent ?

Dès le milieu du XXe siècle, des tensions commençaient à croître entre les Chrétiens maronites — qui tenaient le pouvoir et dont certains ne cachaient pas leur sympathie à l’égard d’Israël — et les Musulmans, proches d’une Syrie qui contestait l’existence même d’un Liban indépendant. La vie politique libanaise était déjà quelque peu chaotique avec un État faible, mais quelques institutions solides, comme l’armée, la banque centrale, les services de renseignements, étaient contrôlées par des responsables chrétiens — les sunnites étant relégués au second plan, et les chiites largement écartés de la vie politique. Déliquescent, l’État libanais reposait donc sur des structures fragiles, incapables de faire face aux menaces ou d’encadrer la cohabitation entre les 18 communautés présentes. Le général Fouad Chehab (1958-1964), ancien chef des armées devenu président, insuffla un élan réformateur, mais son successeur Charles Helou (1964-1970) s’épuisa rapidement devant l’ampleur des tâches à accomplir.

À propos de l'auteur

Denis Bauchard

Conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI), ancien ambassadeur en Jordanie (1989-1993) et au Canada (1998-2001), directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient au ministère des Affaires étrangères (1993-1996) et président de l’Institut du monde arabe (2002-2004). Auteur de Le Moyen Orient au défi du chaos (Hémisphères éditions, 2021).

0
Votre panier