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Maintien en condition opérationnelle : un enjeu stratégique

Si le Maintien en condition opérationnelle (MCO) a été au cœur des préoccupations des forces françaises depuis plus d’une décennie, les retours d’expérience de la guerre en Ukraine ont montré que les modèles de MCO adoptés ces dernières années à grands coups de réformes sont globalement inadaptés aux conflits de haute intensité. À l’heure de l’adoption de la LPM 2024-2030, on peut donc s’interroger sur les efforts mis en œuvre afin d’adapter la maintenance et la préparation des forces françaises à la résurgence de ce type de conflits particulièrement exigeants pour les équipements.

Les impératifs de maintien en condition opérationnelle ne sont pas propres aux conflits de haute intensité. Il s’agit au contraire d’une tâche élémentaire de toute force armée qui doit s’assurer que les unités déployées au combat disposent des équipements nécessaires à leur mission, immédiatement et pour toute la durée des opérations. Le MCO couvre donc la préparation technique et mécanique du matériel avant son déploiement, mais aussi sa maintenance, sa réparation en cas de dommages, son avitaillement en pièces et autres consommables ainsi que, en cas d’attrition, son remplacement par des équipements disposant d’un potentiel exploitable. Ainsi, malgré les liens étroits entre le MCO et la logistique, les deux concepts ne peuvent se confondre, dès lors que le MCO repose également sur le bon dimensionnement des flottes ab initio et sur l’acquisition d’équipements adaptés à la typologie de conflits prévisibles (autrement dit sur la rusticité intrinsèque du matériel).

Le squelette du mammouth

Depuis la fin de la guerre froide et les fameux « dividendes de la paix », les armées occidentales ont toutes entamé un processus de réduction de leurs formats, qu’il s’agisse des ressources humaines, des équipements ou des stocks de consommables. En France, pour qualifier ce processus quasi permanent depuis trois décennies, on évoque parfois la nécessité de « dégraisser le mammouth(1) », une expression assez parlante qui renvoie aussi à la volonté de « couper la graisse et garder le muscle », pour reprendre l’expression utilisée par le secrétaire général de l’OTAN en 2010, Anders Fogh Rasmussen.

Derrière cette image, on retrouve un principe d’optimisation au plus juste des moyens, inspiré des pratiques managériales du secteur privé, et qui repose sur une grande prévisibilité des engagements. Pour limiter des stocks trop importants, les flottes d’équipements sont maintenues au strict minimum permettant leur exploitation nominale sur une période donnée, en prenant en compte un taux d’attrition collant le plus possible aux réalités observées les années précédentes. Les conflits post-2001 ayant tendance à s’établir sur le temps long, dans des conditions environnementales éprouvantes (Irak, Afghanistan, Sahel…), le besoin en MCO est réel et assez important dans l’absolu, mais s’avère aussi relativement prévisible. Dès lors, même si forces armées et industriels maintiennent des compétences certaines en matière de maintenance au combat ou de régénération de matériel, les outils industriels sont dimensionnés au plus juste afin, schématiquement, de produire chaque année l’équivalent de la consommation annuelle. Les réserves stratégiques disparaissent peu à peu, aussi bien pour les pièces détachées que pour les munitions. Loin d’être un défaut dans le système, cette érosion des stocks découle d’une véritable volonté de simplifier les activités de maintenance et, autant que possible, de les externaliser, afin de permettre aux ressources humaines de plus en plus réduites de se concentrer sur l’essentiel de leurs missions : le combat.

Il en résulte, sur le papier, un mammouth complètement dégraissé, doté uniquement de la quantité de muscles nécessaire à la réalisation de sa mission dans des conditions nominales. Avec le risque, en cas d’accroissement soudain de l’activité, ou de changement brutal de paradigme, de voir ce muscle fondre à vue d’œil et de ne plus laisser à ce mammouth que la peau sur les os.

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