France : entre prise de risques et prise de conscience
La fragilité de cette nouvelle conception de la gestion du MCO est particulièrement visible en France. Lors de la période des « dividendes de la paix », Paris a tenu à conserver des capacités opérationnelles minimales sur l’ensemble du spectre des opérations. Il en allait de la crédibilité des armées françaises au sein des coalitions, mais aussi de la survie de l’ensemble des acteurs industriels de la BITD (Base industrielle et technologique de défense). Dès lors, la préservation des capacités industrielles stratégiques a conduit à privilégier le maintien des programmes à haute valeur ajoutée, parfois au détriment des filières maintenance ou munitions qui n’offrent pas la même plus-value.
Si cette posture opérationnelle et industrielle permet aujourd’hui à la France de conserver des compétences techniques et humaines sur l’ensemble des missions, elle a aussi imposé de réduire substantiellement les stocks de pièces et de munitions nécessaires au MCO. Plus encore, les déploiements continus en opérations extérieures (OPEX), sur cette période, ont entraîné une réorientation des moyens de MCO vers les théâtres d’opérations. Cela a conduit à une excellente disponibilité du matériel en OPEX, mais à des taux de disponibilité extrêmement bas sur le territoire national. De quoi impacter négativement certaines missions comme la dissuasion ou la permanence opérationnelle, mais aussi le nécessaire entraînement des forces.
Les conséquences de cette politique d’érosion capacitaire ont atteint un point de non – retour au début des années 2010, à la suite du lancement de l’opération « Barkhane » et des attentats de 2015, notamment, amenant les autorités à réagir. Fin 2017, la ministre des Armées Florence Parly lançait ainsi une grande réforme du MCO des matériels aéronautiques, destinée à améliorer la disponibilité des flottes d’avions et d’hélicoptères, alors tombée à 44 %. L’une des solutions adoptées a consisté à verticaliser les contrats de maintenance, établis sur plusieurs années, afin de responsabiliser les industriels et de créer un cercle vertueux. Lors d’un point presse tenu début 2022 par la nouvelle DMAé (Direction de la maintenance aéronautique), l’ingénieure générale hors classe de l’armement Monique Legrand – Larroche déclarait ainsi que la réforme consistait à « confier à un maître d’œuvre unique la responsabilité du soutien d’une flotte d’aéronefs, avec un contrat de longue durée, de l’ordre d’une dizaine d’années, et des activités majoritairement forfaitisées. Dans ces conditions, l’industriel a tous les leviers en main. Il dispose de la visibilité, il dispose de la durée, il a l’ensemble de la chaîne sous sa responsabilité. Il peut donc planifier, il peut recruter, il peut investir, il peut innover et il peut anticiper les obsolescences techniques ».
En 2021, les premiers résultats de cette réforme se font sentir, avec une amélioration substantielle de la disponibilité des principaux types d’aéronefs (2), et ces nouvelles méthodes de gestion du MCO se généralisent au – delà du secteur aéronautique, notamment pour les nouveaux véhicules terrestres du programme SCORPION et pour les contrats de maintenance des flottes existantes, qui concernent principalement Nexter et Arquus. Ici aussi, la verticalisation et la mise en place de forfaits de maintenance sont vues comme des améliorations. Les stocks de pièces détachées de l’armée de Terre disparaissent au profit de contrats de maintenance avec l’industriel, qui garantit la livraison des pièces demandées dans un délai très court, en métropole, et met à la disposition des forces des kits de maintenance pour les OPEX. La prestation étant forfaitaire, l’industriel a tout intérêt à atteindre le taux de disponibilité garanti en utilisant le moins de pièces possible.
Depuis quelques années, cette approche est considérée comme particulièrement vertueuse, puisqu’elle permet d’atteindre et de maintenir un niveau de disponibilité contractuel, tout en évitant le gaspillage de ressources, conduisant à une réduction des coûts. Le problème avec cette approche ? Elle se base sur une définition contractuelle de la disponibilité, elle – même fondée sur le nombre de jours passés en OPEX. On peut dès lors s’interroger sur la manière dont ce MCO à flux tendu pourra s’adapter à l’inattendu, autrement dit à l’utilisation longue et intensive du matériel, parfois en dehors des spécifications du constructeur, comme on peut désormais s’y attendre en cas de conflit de haute intensité.