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Maintien en condition opérationnelle : un enjeu stratégique

LPM 2024-2030 : des efforts insuffisants ?

En pleine période de conflit ukrainien, la loi de programmation militaire 2024-2030 était particulièrement attendue sur son volet équipement, notamment sur la question du financement des programmes, sur les dotations en munitions et sur le MCO. En effet, s’il peut paraître important de renouveler les stocks d’avions, de véhicules ou d’hélicoptères, il est bien plus rapide d’obtenir un effet notable sur la capacité à combattre en améliorant rapidement la disponibilité des flottes déjà opérationnelles. Lors des premières évocations du budget alloué à cette LPM, la baisse du rythme des livraisons des principaux programmes a pu laisser penser que l’augmentation budgétaire allait profiter massivement aux stocks de pièces et de munitions.

De fait, le texte voté par les députés prévoit en effet de « rehausser le niveau d’exigence de préparation opérationnelle et de disponibilité des matériels (optimisation des stocks de munitions et de lots de MCO)  ». En conséquence, le budget prévisionnel pour l’entretien programmé du matériel passe de 35 milliards d’euros pour la LPM 2019-2025 à près de 49 milliards d’euros pour 2024-2030. Pour faire face aux menaces de haute intensité, la LPM entend également donner des assurances aux industriels, en précisant que la « capacité à réagir et à tenir dans la durée dépendra notamment de l’agilité de notre BITD et des leviers de “l’économie de guerre”, comme la sécurisation des approvisionnements de certaines matières premières ou composants et pièces critiques permettant aux armées de s’appuyer sur des stocks reconstitués. Elle imposera également de concevoir les équipements futurs des armées en trouvant un équilibre entre rusticité et hyper – technologie pour concilier supériorité opérationnelle, délais de production rapide et coût de possession pour l’État ».

Au détour d’entretiens informels avec des acteurs industriels ou des responsables militaires, toutefois, certaines inquiétudes se dévoilent. Les efforts consentis par la LPM semblent en effet bien peu de chose face aux défis du moment, alors même qu’une partie des faibles réserves stratégiques ont déjà été livrées à l’Ukraine, et que l’inflation efface partiellement la réévaluation à la hausse des budgets. Pour ces observateurs, la guerre en Ukraine révèle les faiblesses des nouveaux modes de gestion du MCO à flux tendu. Les réserves capacitaires existent bien chez les industriels, tant pour la production de pièces que sur les lignes d’assemblage, mais leur mise en branle demanderait des années de recrutement et de formation, pour ne parler que des ressources humaines. Et même alors, elles ne permettraient pas de répondre numériquement aux besoins conjoints de maintenance pour les forces françaises et de soutien au matériel envoyé à l’Ukraine.

Les efforts sont réels, certes, mais cantonnés logiquement à une optimisation des nouveaux dispositifs mis en place ces dernières années, eux – mêmes axés avant tout sur l’efficience économique plutôt que sur la réserve capacitaire : « Un niveau supérieur de performance du MCO de nos matériels sera négocié – à coûts maîtrisés – avec les industriels, conditionné par une consolidation des stocks stratégiques et une gestion améliorée des pièces de rechange. Le MCO des matériels sera mieux pris en compte dès les premiers stades de la vie d’un programme, pour un raisonnement en coût de possession sur la durée.  » À l’heure où les stocks stratégiques fondent, où entrent en service de nouvelles générations d’équipements conçus dès l’origine pour bénéficier d’une logistique et d’une maintenance de nouvelle génération, le défi du MCO de haute intensité s’annonce probablement bien trop ambitieux pour être résolu convenablement par une unique LPM, qui doit par ailleurs répondre à bien d’autres challenges.

Notes

(1) Utilisée pour la première fois en 1997 par Claude Allègre pour parler du ministère de l’Éducation nationale, l’expression s’est généralisée une dizaine d’années plus tard à d’autres services publics, dont le ministère de la Défense, à l’occasion de la Révision générale des politiques publiques (RGPP).

(2) Les chiffres de la disponibilité des aéronefs et équipements français ne sont désormais plus publiés, pour des raisons de sécurité opérationnelle. Il n’est donc pas possible de savoir si la réforme du MCO a continué à améliorer la disponibilité de l’ensemble des flottes.

Légende de la photo en première page : La complexité technique des systèmes contemporains se paie également en termes de contraintes de maintenance ; mais celle-ci peut être optimisée. (© Dassault Aviation/P. Sagnes)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°91, « Loi de programmation militaire, face aux leçon de la guerre d’Ukriane », Août-Septembre 2023.
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