Les guerres en Syrie et en Irak ont entraîné de nombreux déplacements de populations au Moyen-Orient, déjà marqué par ceux des Palestiniens depuis 1947. Quelle est votre analyse générale de la situation des réfugiés dans la région ?
Les Nations unies recensent, fin 2021, 89,3 millions de personnes à travers le monde qui ont été forcées de bouger soit à l’intérieur de leur propre pays, soit en trouvant refuge dans un autre. Parmi elles, 53,2 millions sont des déplacés internes, contraints de fuir leur domicile mais sans partir en exil, et 21,3 millions sont des réfugiés. En ce qui concerne le Moyen-Orient, il faut distinguer la situation des réfugiés palestiniens (5,7 millions) des autres, notamment en raison de leur statut particulier, car ils sont exclus des dispositions de la convention de Genève de 1951, ainsi que du contexte historique et des modalités d’accueil de ces Palestiniens chez leurs voisins. Ils bénéficient d’une prise en charge, d’une aide d’urgence et de services sociaux, gérés depuis 1949 par l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), mais pas de protection juridique, contrairement aux autres réfugiés.
De son côté, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a pour mandat d’offrir une option parmi les trois suivantes : l’intégration locale, le relogement dans des pays tiers ou le retour à la terre d’origine. Les individus sous sa protection doivent opter volontairement pour l’un de ces choix, ce qui est impossible pour les Palestiniens, les deux premières options étant inacceptables pour ceux-ci et pour les pays hôtes, et la troisième étant rejetée par Israël. Le type de protection octroyée pour les réfugiés de l’UNHCR peut cependant différer selon que l’État d’accueil a ou non ratifié la convention de 1951. Différents cas de figure se présentent : si le texte est validé, la protection internationale est donnée au nom de l’État ; si ce n’est pas le cas, mais que l’UNHCR est compétent, ce dernier obtient des autorités le droit d’offrir une protection ; enfin, si celles-ci refusent que l’organisme onusien agisse, alors les réfugiés relèvent du droit commun pour les étrangers. Au Moyen-Orient arabe, on notera que la Libye et les États du Golfe et du Levant, à l’exception du Yémen, n’ont pas signé la convention de 1951. Cela a des conséquences tragiques sur les populations réfugiées et reflète une rupture profonde entre les monarchies du Golfe, le monde arabe de façon générale et la communauté internationale.
Si l’ONU et les ONG ont des équipes sur le terrain pour aider les réfugiés, cela n’est pas suffisant, et ce qui était temporaire devient permanent. Pourquoi ? Quelle est la responsabilité des États qui accueillent les camps ?
La pérennisation des camps est liée à celle des conflits. Pour ne prendre que l’exemple de la Syrie ou de la Palestine, les réfugiés espéraient pouvoir rentrer rapidement chez eux. Dans le cas syrien, plus de dix ans après le début de la guerre, ce retour est difficilement envisageable ; quant aux Palestiniens, ils se voient refuser ce droit par les autorités israéliennes depuis 1948.
D’autres facteurs participent à inscrire durablement l’« encampement » dans le paysage des migrations, alors que cette solution n’est pas envisagée par les organes onusiens opérant auprès des réfugiés. Parmi ces facteurs, on retrouve notamment le financement des camps majoritairement par des pays occidentaux, la logistique humanitaire qui installe une forme de dépendance des réfugiés à la structure et au personnel humanitaire et dont le mode de gouvernance peut être contesté, ou le manque de solutions alternatives et durables de la part des États concernés.