Lorsque, le 2 juin 2023, le Commandant de la marine iranienne annonce le projet d’alliance navale dans le golfe Persique réunissant Iran, Arabie saoudite et autres États khalijiens, sans y associer les partenaires historiques de la zone, la question se pose alors pour la France : que reste-t-il de son influence au Moyen-Orient ?
Une influence héritée de la période coloniale et mandataire
L’influence diplomatique de la France au Moyen-Orient prend racine dans son passé colonial et mandataire. Encore aujourd’hui, elle bénéficie autant qu’elle souffre de cet héritage. Des croisades aux Capitulations, les échanges diplomatiques entre la France et le Moyen-Orient ont un ancrage historique. La campagne d’Égypte de Napoléon Bonaparte contribue de surcroît à dynamiser les échanges, les dirigeants égyptiens se tournant notamment vers la France pour la modernisation du pays. Le mandat français sur la Syrie et le Liban marque ensuite durablement la relation avec ces deux pays. Cette influence reposait sur divers instruments, notamment le protectorat chrétien, les intérêts économiques et une action culturelle perçue comme une « présence morale » (1). En 2020, Emmanuel Macron est le premier chef d’État étranger à se rendre à Beyrouth deux jours après une double explosion dévastatrice, illustrant de facto le lien particulier entre les deux pays. Ce choix fut toutefois vivement critiqué lorsque ce dernier plaida pour la « refondation d’un ordre politique nouveau », qualifié par certains de forme d’ingérence néo-coloniale.
Un étiolement des vecteurs historiques de la politique étrangère française dans la région
Autrefois perçue comme la « voix des sans-voix », la France s’est longtemps distinguée par la singularité de sa diplomatie moyen-orientale, fondée sur une certaine idée de l’indépendance stratégique française et incarnée dans des gestes politiques assumés. En témoignent les déclarations de De Gaulle (2) en 1967, condamnant l’attaque d’Israël lors de la guerre des Six Jours, de François Mitterrand à la Knesset (3) en faveur de la création d’un État palestinien, ou encore le discours de Dominique de Villepin (4) s’opposant à l’intervention en Irak. L’originalité de la posture française se tarit cependant en 2004, alors que Jacques Chirac choisit de s’aligner stratégiquement avec le partenaire américain, notamment sur le dossier palestinien, à la suite des dissensions irakiennes. Aujourd’hui, la prudence de rigueur sur le dossier palestinien et la perte d’autonomie des positions françaises effritent cette position importante aux yeux des partenaires arabes. Par ailleurs, les années 2010 ont été marquées par l’avènement du contre-terrorisme et des enjeux militaro-sécuritaires comme facteurs premiers de l’influence française au Moyen-Orient. L’opération « Chammal », lancée en septembre 2014 contre l’État islamique en Irak et en Syrie, devient rapidement structurante et motive l’installation d’une base aérienne projetée française en Jordanie. Néanmoins, l’amenuisement de la menace terroriste consécutif à la chute de Baghouz en 2019 remet en question la dimension organique du contre-terrorisme dans les relations bilatérales françaises.
Le choix d’une diplomatie principalement bilatérale
Dans ses rapports avec les pays du Moyen-Orient, la France a fait le choix d’une approche bilatérale. Ce parti pris s’explique tout d’abord par le crédit historique accordé à la France en tant que puissance auprès de certains partenaires. En effet, lorsqu’Emmanuel Macron déclare en 2020 : « La France ne lâchera jamais le Liban », il justifie ces propos par « les liens du temps, de l’esprit, de l’âme, de la culture, du rêve » (5). D’autre part, dans une région davantage acquise à une approche westphalienne des relations internationales, les rapports directs entre États semblent plus adaptés. Dans le Golfe et au-delà, les cadres multilatéraux comme l’Union européenne sont bien souvent relégués aux seuls champs des visas et des droits de l’homme. Les instances internationales, notamment à l’ONU, sont ainsi perçues comme des cadres permettant d’approfondir des relations bilatérales. La concurrence accrue entre pays européens dans la région abonde encore davantage dans ce sens. La rivalité franco-italienne à la FINUL ou au sein de la mission de l’OTAN en Irak en est une illustration.
Diplomatie multisectorielle marquée par l’exception culturelle française
La politique étrangère française se caractérise par une présence diplomatique étendue et influente dans de multiples domaines tels que la défense, l’économie, l’environnement et la culture (6). De nombreuses entreprises cotées au CAC40 comme Lagardère ou Total s’implantent dans la région, comme l’illustre le cas de la société française Systra, qui a été sélectionnée pour concevoir et mettre en œuvre le système de mobilité ferroviaire qui sera intégré à la future ville de Neom, en Arabie saoudite. En outre, ces pays investissent également sur le territoire français dans des secteurs tels que l’immobilier ou le sport. Éminents leviers de l’influence française au Moyen-Orient, la coopération culturelle internationale et la Francophonie concourent assurément au rayonnement de la France dans la région. Exportatrice de sa culture artistique au travers d’institutions comme le Louvre Abu Dhabi, Paris fait également d’importants efforts de mécénat. Cette politique passe par des activités de soutien à la création artistique ou encore de réhabilitation de musées d’exception comme le musée Sursock de Beyrouth ou le musée culturel de Mossoul. La politique culturelle de la France s’oriente de plus en plus vers la co-construction avec les partenaires locaux, comme le montre la collaboration d’orchestres français et saoudiens à Riyad en 2022. La Francophonie est également un atout français de premier plan. Sa promotion passe par l’Organisation internationale de la Francophonie — dont l’Égypte et le Liban sont membres de plein droit et le Qatar et les Émirats arabes unis sont membres associés — et les Alliances françaises.