Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

La diplomatie française au Moyen-Orient : entre compromis et reconfigurations

Une politique restreinte par un manque de moyens

La France conserve ainsi une présence diplomatique forte, mais souffre de défis structurels. La politique étrangère française peine à trouver les ressources nécessaires (financières, techniques et humaines) à la réalisation des objectifs qu’elle se fixe. Les diminutions budgétaires ont eu pour conséquence la fermeture de postes dans cette institution ayant perdu 53 % de ses effectifs ces trente dernières années. Cela se traduit aussi au niveau des lycées français de l’étranger (diminution du nombre d’enseignants français dans les établissements). D’après le rapport « La politique étrangère française dans le monde arabe et au Moyen-Orient », réalisé par les Jeunes IHEDN, les diplomates constatent « un décalage entre les discours officiels et la réalité ». La rigueur budgétaire amenuise ainsi les possibilités pour les acteurs sur le terrain de créer ou de soutenir des projets sollicités par les États partenaires. Parallèlement, elle limite la capacité à analyser la situation de manière approfondie sur le terrain. Les pays de la région manifestent de surcroît une demande croissante de partenariats. 

Les défis de la reconfiguration régionale et de la compétition de puissance

Dans un contexte de reconfiguration des équilibres régionaux, la France doit se doter d’une politique adaptative. Si le désengagement américain du Moyen-Orient, certes partiel, permet l’ouverture de nouveaux axes de coopération, il est également perçu comme le signal d’un désintérêt occidental pour la région au profit du continent asiatique. À cette tendance s’ajoute l’intensification des efforts diplomatiques concurrents russes, turcs et chinois. Alors que le rétablissement des liens diplomatiques irano-saoudiens s’acte à Pékin, ce sont à Moscou que se tiennent les pourparlers pour la normalisation turco-syrienne. De plus, face à la montée en puissance des États du Golfe, et tout particulièrement de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, la voix portée par la France semble perdre en décibels. Néanmoins, celle-ci peut toujours se prévaloir d’être un interlocuteur reconnu pour de multiples acteurs de cet imbroglio : en Irak, Paris dialogue aussi bien avec le gouvernement de Bagdad qu’avec les représentants de la région autonome du Kurdistan. Cette dynamique se retrouve également au Liban, où le dialogue reste ouvert aussi bien auprès des représentants du Courant patriotique libre ou des Forces libanaises que du Hezbollah. Grâce à cette posture diplomatique, la France peut agir en tant que médiateur légitime, favorisant ainsi le dialogue entre toutes les parties. 

La compétition de puissance s’est ainsi inscrite comme enjeu de premier plan dans une région où s’entrecroisent des influences diverses. Le premier terrain d’affrontement se trouve dans le champ des idées. La diffusion d’un contre-narratif face aux discours russes, iraniens et syriens est un domaine stratégique sur lequel il convient de capitaliser. Ce travail se fait aussi bien auprès des partenaires que dans les enceintes multilatérales, où les représentations se façonnent et s’écorchent. Le maintien d’une unité européenne, voire « occidentale » apparaît alors plus nécessaire que jamais. En effet, seule une fine coordination entre la France et ses alliés apporte une crédibilité à la politique des « trois non » contre le régime syrien (7). La politique française aura beaucoup à perdre dans l’effritement de la cohérence d’un narratif concurrencé.

Changement de paradigme et remise en valeur des atouts diplomatiques français

L’époque contemporaine appelle ainsi à un changement de logiciel français au Moyen-Orient. Le relatif affaiblissement des groupes terroristes internationaux et la prise en charge croissante par les acteurs locaux de leur propre sécurité exigent un changement paradigmatique. La France doit s’adapter aux évolutions stratégiques structurelles de la région alors que s’opère un basculement d’une prévalence de l’enjeu du contre-terrorisme au bénéfice d’une compétition de puissance. Il est nécessaire de développer l’action diplomatique française à la hauteur de ses capacités politiques et industrielles, en remettant en valeur la pluralité de ses outils de politique étrangère à l’instar de son expertise technique dans le domaine de la transition énergétique. Ces atouts sont d’autant plus significatifs dans un contexte où de nombreux pays du Moyen-Orient demeurent fortement dépendants des exportations d’hydrocarbures. Par exemple, alors que cette région est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique, Paris soutient, dans le cadre européen, une politique visant à promouvoir le développement de l’hydrogène et du nucléaire civil. Parallèlement, il est essentiel pour la France d’impliquer la population dans ces investissements en encourageant le financement des infrastructures publiques, afin de promouvoir une meilleure redistribution des richesses. L’influence diplomatique française conserve de nombreux atouts, que sont l’indépendance de sa politique étrangère, son rôle prégnant au sein de l’Union européenne et des Nations Unies, une expertise technique reconnue et une influence culturelle rayonnante. Il revient aux autorités de les valoriser. 

Notes

(1) Henry Laurens, « Le mandat français sur la Syrie et le Liban », dans Nadine Méouchy, France, Syrie et Liban 1918-1946 : les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire, Presses de l’Ifpo, 2013.

(2) Discours de C. de Gaulle en conférence de presse, le 27 novembre 1967.

(3) Discours de F. Mitterrand à la Knesset, le 4 mars 1982. 

(4) Discours de D. de Villepin au Conseil de sécurité des Nations unies, le 14 février 2003. 

(5) Discours d’E. Macron à Beyrouth, le 6 août 2020, suite à l’explosion du 4 août. 

(6) Discours d’E. Macron pour une diplomatie française globale, le 29 août 2017.

(7) « Non à la normalisation, non à la levée des sanctions, non à la reconstruction ».

Pour aller plus loin 

Jeunes IHEDN, « La politique étrangère française dans le monde arabe et au Moyen-Orient », rapport, décembre 2022, 245 p. (https://​rb​.gy/​4​f​20m).

Légende de la photo en première page : Le 20 décembre 2022, le Président français Emmanuel Macron est reçu à Amman en Jordanie par le roi Abdallah II. (© Royal Hashemite Court RHC)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°75, « Géopolitique de la France », Août-Septembre 2023 .

À propos de l'auteur

Emma Gulessian

Co-auteur du rapport « La politique étrangère française dans le monde arabe et au Moyen-Orient » (décembre 2022, https://rb.gy/4f20m)

À propos de l'auteur

Pierre Raimbault

Co-auteur du rapport « La politique étrangère française dans le monde arabe et au Moyen-Orient » (décembre 2022, https://rb.gy/4f20m).

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