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Ukraine : dans l’enfer des combats urbains, la technologie ne fait pas tout

À Marioupol comme à Bakhmout, les Russes ont d’abord lancé de puissants barrages d’artillerie avant de lâcher des milliers d’hommes dans la fournaise des combats urbains. Cela a été efficace, mais à un coût humain très élevé et avec d’incroyables consommations de munitions.

Les technologies sont-elles des « game CHANGERS » ?

L’étendue et le degré de sophistication des technologies comptent moins que la manière dont celles-ci sont utilisées. Tel pourrait être l’adage de cette guerre en Ukraine. Dans ce contexte, l’Ukraine se montre plus agile et créative que son opposant russe. Elle tire aussi profit des livraisons d’armes perfectionnées occidentales, notamment américaines. Les technologies militaires utilisées par les Ukrainiens peuvent être classées en trois ensembles. Le premier, dit « tiers haut », comprend des systèmes très perfectionnés comme les HIMARS (High Mobility Artillery Rocket Systems), des missiles antiradars (AGM‑88 HARM pour High-speed Anti-Radiation Missiles), des batteries de missiles Patriot, des missiles antichars portatifs Javelin.

Le second, dit « tiers moyen », inclut des drones type Bayraktar TB2 turcs et Switchblade et ScanEagle américains. Livrés en grandes quantités, ces systèmes ne requièrent pas de formation technique poussée et offrent un avantage immédiat sur le champ de bataille.

Le troisième, dit « tiers bas », inclut des technologies commerciales disponibles « sur étagère » comme de petits drones civils, le système satellite Starlink d’Elon Musk ou encore l’intelligence artificielle pour la reconnaissance vocale, mais employée par l’armée ukrainienne pour analyser les conversations radios russes (3). Ces technologies civiles ont permis aux Ukrainiens d’améliorer le commandement et contrôle, leurs communications et leur connaissance des différentes situations sur le champ de bataille.

En face, la Russie apparaissait au départ comme technologiquement supérieure. Et pourtant, elle n’a pas réussi à tirer profit de cette supériorité supposée. En cause, un mauvais commandement et contrôle et un manque d’expertise. Par ailleurs, l’armée russe a fait le choix des technologies moyennes et basses et a fortement hésité à engager ses matériels les plus perfectionnés, comme les chasseurs Su‑57 ou les chars Armata T‑14. Comme l’Ukraine, elle a déployé des drones civils pour la reconnaissance, le renseignement ou le bombardement, mais aussi des drones iraniens Shahed‑136. En revanche, l’armée russe garde un avantage dans la catégorie des missiles de croisière de précision à long rayon d’action. Selon une récente étude du Royal United Service Institute of Defence and Security Studies britannique, les Russes détruisent 10 000 drones ukrainiens (de petits drones commerciaux dans une grande majorité) par mois grâce à un système sophistiqué de guerre électronique (4). Ces chiffres sont sûrement surestimés, mais cela montre que la guerre électronique russe est très efficace et que l’armée russe parvient à s’adapter et à trouver des parades.

Mais ces technologies sont-elles pour autant des « game changers » en milieu urbain ? Il est évident que l’utilisation de l’IA, de petits drones de reconnaissance et de Javelin antichars a favorisé les Ukrainiens. Mais la technologie ne fait pas tout ; du moins, pas pour le moment. La guerre urbaine répond à des règles (5) qui favorisent le défenseur, souvent moins fort que son opposant. Cet état de fait ne changera pas tant que les règles ne seront pas modifiées avec de nouvelles tactiques de combat, de nouvelles technologies et de nouvelles armes. Certaines de ces technologies existent déjà, mais elles ne sont pas déployées en assez grand nombre et sont encore coûteuses. Il peut s’agir d’armes guidées de précision sans ligne de visée (NLOS), de drones VTOL (Vertical Take Off and Landing), de drones ISR, voire ISTAR, équipés de caméras ultra-­haute définition, d’intelligence artificielle, de robots terrestres OMFV (Optionally Manned Combat Vehicles), de systèmes C‑UAS (Counter-Umanned Aerial Systems), de capteurs hyperspectraux ou Ultra-­Wide Band pour repérer la présence humaine dans les bâtiments, de brouilleurs GNSS, etc. En théorie, des manœuvres interarmes, combinées et multidimensionnelles pourraient transformer la guerre urbaine à l’avantage de l’attaquant.

Une autre technologie, encore balbutiante, pourrait réellement changer la donne : la quantique. Le gravimètre quantique sera capable de scanner les cavités et les sous-sols avec une extrême précision. La première génération sera déployée comme capteur statique, à bord d’un véhicule. Le rayon d’action sera faible. La génération suivante sera plus sensible et la résolution spatiale sera meilleure. Avec la réduction du SWaP (Size, Weight and Power ou taille, poids et puissance), les capteurs pourront être installés dans des avions, des drones, voire des satellites en orbite terrestre basse. Dans ce contexte, l’ISTAR quantique offrira une grande précision susceptible d’améliorer ou d’introduire de nouvelles applications comme le balayage souterrain. Avec une telle technologie, une armée sera capable de voir son ennemi jusque dans les moindres recoins des sous-sols et des cavités les plus enfouies et inaccessibles. La transparence du champ de bataille sera dès lors totale.

La technologie n’est qu’un outil, l’homme reste central

Dans ce contexte, la technologie favorise la victoire sans pour autant la garantir. Attention, donc, à la dépendance technologique qui fait ressortir les failles ou en crée de nouvelles. Attention aussi à ne pas être aveuglés par des technologies « miracles ». N’oublions pas que la modernisation draine autant les opportunités que les vulnérabilités.

À propos de l'auteur

Boris Laurent

Manager Défense & Sécurité chez Sopra Steria Next, historien spécialiste en relations internationales et en histoire militaire et officier de réserve au sein de la Marine nationale

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