Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Moyen-Orient : le changement climatique comme amplificateur des tensions et des conflits

Au Moyen-Orient, le taux de réchauffement climatique est actuellement deux fois supérieur à la moyenne mondiale. Les effets dévastateurs de l’élévation des températures et des phénomènes climatiques extrêmes accroissent les tensions et conflits de l’ensemble de la région et accentuent les fragilités dont souffrent déjà de nombreuses populations.

Les territoires et les sociétés du Moyen-Orient subissent depuis plusieurs décennies les effets du changement climatique. Ce dernier amplifie un milieu géographique déjà difficile et contraignant. L’Euphrate, le Tigre et le Jourdain sont en cours de dessèchement, Istanbul et Le Caire sont des villes menacées par la montée des eaux et plusieurs pays sont localisés sur la trajectoire de tempêtes de sable et de poussière (1). Le Moyen-Orient est en effet l’une des régions du monde où se croisent à la fois une forte vulnérabilité climatique et une forte conflictualité. 

Les manifestations du changement climatique au Moyen-Orient

À l’échelle mondiale, le Moyen-Orient et l’Asie centrale connaissent l’augmentation la plus rapide de l’occurrence des risques climatiques. Les épisodes de températures extrêmes sont plus nombreux (Iran, Koweït, Irak notamment). En moyenne, la température maximale pendant les jours les plus chauds atteint environ 43°C. Le scénario RCP 8.5 (« business as usual ») du GIEC estime que cette température maximale pourrait atteindre les 46° d’ici 2050 et les 50° d’ici la fin du siècle. Dans un scénario « plus optimiste », dans lequel les émissions mondiales de gaz à effet de serre diminueraient fortement, les températures annuelles moyennes dépasseraient les 30° dans la moitié des pays de la région (Moyen-Orient et Asie centrale inclus). 

Les épisodes de chaleur extrême entraînent une augmentation des sécheresses et une diminution de l’alimentation des nappes phréatiques qu’amplifie la modification du régime pluviométrique. Les précipitations excessives ont quant à elles pour conséquence des crues soudaines, surtout dans les zones arides et semi-arides (en Égypte et en Irak notamment). La dégradation des sols s’aggrave (désertification et salinisation) et les ressources hydriques diminuent. L’accélération de l’évaporation causée par la hausse des températures contribue à assécher les cours d’eau et les lacs, participe à la désertification et contribue à la montée en puissance des tempêtes, des cyclones et des crues dévastatrices. D’après le dernier atlas du World Resources Institute (2) , publié le 16 août 2023, 25 pays du Moyen-Orient sont en situation de stress hydrique « extrêmement élevé » ; parmi eux on peut citer le Liban, Bahreïn, le Koweït ou encore Oman (3). Plus de 80 % des habitants de la région se trouvent dans une situation de stress hydrique « très important ». Plusieurs projections font état de saisons encore plus sèches pour les années à venir. Les pénuries d’eau sans précédent sont aggravées par la croissance démographique, l’urbanisation et le développement socio-économique. 

Les effets du changement climatique

La résilience face au changement climatique (qui dépend à la fois de l’exposition aux aléas climatiques et de la vulnérabilité à leur égard) de la plupart des pays du Moyen-Orient est faible. Le ND-GAIN (Notre-Dame Global Adaptation Index(4) classe les pays selon leur vulnérabilité et leur préparation au changement climatique. En croisant ces données avec celles du Global Peace Index (5), l’Observatoire Défense et Climat a montré que le Moyen-Orient est la deuxième zone (après l’Afrique) la plus critique en termes de risques élevés d’aggraver des conflits en lien avec le changement climatique. Comment l’expliquer ?

Les effets du changement climatique ont pour conséquence d’exacerber de nombreux facteurs de déstabilisation que connaît la région : fractures socio-économiques, tensions et conflits intra et inter-étatiques, présence de groupes armés non conventionnels, migrations internes et externes, volatilité des prix des denrées alimentaires et insécurité alimentaire, faible gouvernance, méfiance à l’égard des pouvoirs publics, etc. 

Les performances économiques de la région moyen-orientale sont déjà impactées par le changement climatique (6). La Banque mondiale estime qu’une hausse des températures de 1° dans cinq des pays les plus chauds (Bahreïn, Djibouti, EAU, Mauritanie et Qatar) entraîne une diminution de deux points de la croissance économique par habitant. Elle estime également que les impacts des pénuries d’eau sur l’agriculture, la santé et les revenus coûteront aux pays du Moyen-Orient entre 6 et 14 % de leur PIB d’ici 2050. 

Dans le Nord de la Jordanie, la présence de Syriens déplacés a accentué la pression sur les ressources en eau et entraîné des tensions en raison des restrictions mises en place par le gouvernement. Elles s’inscrivent dans un contexte d’augmentation de 30 % du prix de l’eau lors de la dernière décennie. 

L’accès à l’eau peut engendrer des tensions transfrontalières. L’État irakien accuse régulièrement le gouvernement turc de réduire le débit du Tigre et de l’Euphrate. La Turquie « arsenalise » les cours d’eau dans le contexte du conflit avec la Syrie. Depuis fin 2020, le pays a réduit d’environ 60 % le débit de l’Euphrate. Cela a entraîné des pénuries de nourriture et d’électricité en Syrie et aggravé le problème d’accès à l’eau de plusieurs millions d’Irakiens.

Aussi, en raison de la sécheresse, l’insécurité alimentaire augmente (d’après un rapport publié par la FAO en 2023, plus de 12 % des habitants de la région MENA étaient en situation d’insécurité alimentaire en 2021). Le changement climatique impacte donc directement la production de moyens de subsistance, ce qui contraint les États à augmenter leurs importations céréalières, les rendant ainsi plus dépendants de la volatilité des prix. Les flux migratoires internes s’accentuent en raison de l’abandon des terres par des populations agricoles (en Syrie et en Irak notamment). Des groupes armés non étatiques exploitent la méfiance des populations locales à l’égard des pouvoirs publics, incapables de répondre à leurs besoins élémentaires. Le changement climatique contribue donc, indirectement, à la prolifération de ces groupes armés, à la hausse des violences et à une instabilité plus grande. 

Une gouvernance plus inclusive et à une échelle davantage régionale doit urgemment être mise en place au Moyen-Orient afin d’améliorer la lutte contre le changement climatique et l’adaptation à ses effets. 

Notes

(1) Observatoire Défense et Climat, « Changements climatiques et foyers de conflits dans le monde », mai 2023, DGRIS/IRIS (https://​rb​.gy/​8​6​hgd).

(2) https://​rb​.gy/​x​f​3ow

(3) Martine Valo, « “Une crise de l’eau sans précédent” affecte déjà près de quatre milliards de personnes », Le Monde, 16 août 2023 (https://​rb​.gy/​4​2​axz).

(4) https://​gain​.nd​.edu/​o​u​r​-​w​o​r​k​/​c​o​u​n​t​r​y​-​i​n​d​e​x​/​r​a​n​k​i​n​gs/

(5) https://​www​.visionofhumanity​.org/​m​a​p​s​/#/

(6) Ranj Alaaldin, « Climate change may devastate the Middle east. Here’s how governments should tackle it », Brookings, mars 2022 (https://​rb​.gy/​1​d​xxx).

Légende de la photo ci-dessus : Vue sur Dubaï, aux Émirats arabes unis (EAU), dans le golfe Arabo-Persique. Selon une étude du Massachusetts Institute of Technology, d’ici la fin du siècle, la combinaison de températures toujours plus chaudes — au-delà des 50 degrés — et de l’humidité pourrait entrainer des épisodes de « stress thermique incompatible avec la survie humaine ». Si les EAU et d’autres pays du Golfe sont particulièrement visés par cette menace, une étude allemande de l’institut Max Planck révélait dès 2016 que toute activité de plein air sera pratiquement impossible au Moyen-Orient pendant une grande partie de l’année d’ici 2050. (© Shutterstock)

Article paru dans la revue Les Grands Dossiers de Diplomatie n°76, « Géopolitique du changement climatique », Août-Septembre 2023 .

À propos de l'auteur

Virginie Sauner

Professeure certifiée d’histoire-géographie et de géopolitique aux États-Unis, chercheuse associée au Centre français de recherche sur l’Irak et à l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (IREMMO).

0
Votre panier