Magazine DSI HS

Une victoire à vitesse hypersonique ? Un plaidoyer contre la tacticisation

La réalité est plus nuancée : il serait heureux de ne pas généraliser l’affaire du Kinzhal russe. D’une part, parce qu’il n’est pas réellement représentatif d’autres systèmes hypersoniques. D’autre part, parce que ces derniers pourraient également être utilisés à meilleur escient que ne l’a fait, jusqu’ici, la Russie en termes de ciblage. La campagne aérienne stratégique russe a connu plusieurs phases, essentiellement centrées sur les villes, ne montrant pas de réelle capacité à mener un ciblage dynamique sur des cibles d’intérêt militaire, notamment du fait d’un déficit en matière de renseignement(9). Si des sites fixes ont bien été frappés, l’Ukraine s’y attendait et l’une des clés de sa résilience a été de disperser avions de combat, batteries antiaériennes et autres dépôts de munitions.

Cette expérience est sans doute observée de très près, notamment en Chine où les systèmes hypersoniques pourraient être utilisés tant pour déstructurer les groupes aéronavals américains que pour neutraliser les systèmes antibalistiques, taïwanais, japonais ou américains, ouvrant ainsi la voie à la masse de ses missiles balistiques et de croisière classiques. Sic transit le « game changer hypersonique » ? Pas tout à fait : comme toute capacité, son caractère « game-changing » est avant tout une question d’échelle. Il n’offre pas la victoire sur un plateau. Mais bien approprié, il peut établir une partie de ses conditions nécessaires. 

Notes

(1) Sur les systèmes hypersoniques : Joseph Henrotin, « L’hypersonique, sur sa trajectoire », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 87, décembre 2022-­janvier 2023 ; « La mutation hypersonique et ses défis », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 66, juin-juillet 2019 ; « Armements hypersoniques : progrès et prolifération », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 81, décembre 2021-­janvier 2022, ainsi que Philippe Langloit, « Frappes hypersoniques : retour vers le futur », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 30, juin-­juillet 2013.

(2) Joseph Henrotin, « Hypersoniques contre antimissiles : un jeu de dupes ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 88, février-mars 2023 ; Philippe Langloit, « Frappe stratégique. Le retour des FOBS ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 88, février-mars 2023.

(3) Joseph Henrotin, « Mon game changer est plus gros que le tien ». Retour sur le renouveau d’une mythologie technologique », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 87, décembre 2022-­janvier 2023.

(4) Philippe Langloit, « L’armement hypersonique, option viable en A2/AD ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 56, octobre-novembre 2017.

(5) Philippe Langloit, « Missilerie hypersonique : un changement de dimension pour les opérations navales ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 86, octobre-­novembre 2022.

(6) S’il évolue jusqu’à des vitesses proches de Mach 5, sa manœuvrabilité n’est pas totalement établie, alors qu’elle est le critère premier d’une qualification en tant que système hypersonique.

(7) Paradoxe : le Patriot a été largement critiqué dans les années 1990 pour de faibles performances antibalistiques.

(8) « How Kyiv fended off a Russian missile blitz in May », economist​.com, 13 juin 2023.

(9) Joseph Henrotin, « Guerre d’Ukraine : quelles leçons la Russie peut-elle tirer des opérations ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-­série no 90, juin-­juillet 2023.

Les systèmes hypersoniques opérationnels ou en cours de développement (à l’exclusion des démonstrateurs)

Type (pays, 1er essai réussi)/charge

Planeur hypersonique

Missile de croisière hypersonique

Nucléaire

Avangard (Russie, 2014)

Kinzhal (Russie, 2017)*

Hwasong-8 (Corée du Nord, 2021)

DF-X (Chine, 2021)

Zircon (Russie, 2019)

AS4NG (France)

Conventionnelle

DF-17 (Chine, 2014)

Kinzhal (Russie, 2017)*

YJ-21 (Chine, 2022)

LRHW Dark Eagle (États-Unis, 2020)

AGM-183 ARRW (États-Unis, 2022)

IRCPS (États-Unis)

HVGP (Japon)

DF-100 (Chine, 2018)**

Zircon (Russie, 2019)

HAWC (États-Unis, 2022)

HACM (États-Unis)

HALO (États-Unis)

BrahMos-2 (Inde/Russie)

HCM (Japon)

Hycore (Corée du Sud)

* Sa qualité hypersonique est débattue. Sa manœuvrabilité pourrait être réduite.

** Sa qualité hypersonique est débattue. Le missile pourrait évoluer dans le haut supersonique.

Légende de la photo en première page : Un lanceur de missiles Dark Eagle. Ces engins seront intégrés aux task-forces multidomaines de l’US Army. Mais la doctrine d’emploi de ces dernières reste à établir : savoir que l’on peut frapper en profondeur n’est qu’une étape au service du raisonnement opératif. (© US Army)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°92, « La victoire et la guerre », Octobre-Novembre 2023.
0
Votre panier