Face aux thuriféraires des BRICS, ses détracteurs auraient-ils raison de nous avoir avertis dès le départ de l’attelage chaotique du club en raison notamment de la rivalité systémique Inde-Chine ? Pas si simple. Comment l’attelage a-t-il tenu depuis 2009 et pourquoi éclaterait-il aujourd’hui ?
Enlevez le C de BRICS et la moitié du PIB du club disparaît avec le centre manufacturier de la planète. Enlevez le I et c’est près de la moitié de la population du club qui disparaît ainsi que le centre offshore du monde pour le digital et les biotechnologies. Dans les deux cas, c’est supprimer un des deux grands soft powers de l’Asie et même du monde. En dehors de la puissance économique ou démographique du club, enlever le C ou le I correspondrait à supprimer un des deux flotteurs d’un catamaran géant. Enlevez les deux et c’est tout simplement le catamaran qui disparaît.
Et pourtant, la question se pose au fur et à mesure qu’augmentent les tensions militaires et diplomatiques entre la Chine et l’Inde, que la première apparaît de plus en plus comme l’autre superpuissance dans un monde bipolaire chinamerica, tandis que la seconde est de plus en plus courtisée par le monde occidental pour en être le contrepoids. Il est un fait que la diplomatie opportuniste indienne donne de plus en plus de signes ambigus, comme sa place au sein du QUAD Asie-Pacifique aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie, ou plus encore sa récente déclaration officielle de soutien à la position philippine sur la mer de Chine validée par la Cour internationale de La Haye, qui constitue une véritable gifle pour la doctrine chinoise des « neuf traits ». Celle-ci remonte à 1949, mais elle est revenue en force depuis 2009 et consiste à ne faire aucune distinction entre zones sous souveraineté et zones sous juridiction (ZEE). Or, New Delhi, comme tous les pays du Sud-Est asiatique, dont le Vietnam avec qui New Delhi entretient de plus en plus de relations étroites, considère qu’elle constitue une menace croissante contre ses propres intérêts commerciaux et navals.
La montée de la rivalité Inde-Chine condamne-t-elle le club à la paralysie, voire à l’implosion, alors même qu’on parle de son élargissement à 19 pays dont des « amis » diplomatiques évidents de Pékin mais aussi de Delhi comme l’Algérie, l’Iran ou l’Arabie saoudite ? La question a une portée géopolitique majeure puisqu’elle détermine les trajectoires possibles sur l’axe bipolarité du monde de demain ou au contraire sa double multipolarité Nord-Sud et Est-Ouest. La Chine comme l’Inde sont deux des acteurs majeurs du basculement vers l’une ou l’autre option, comme ils l’ont été pour la création des BRICS ainsi que Moscou à la manœuvre l’avait bien compris.
Regarde d’où tu viens
Comme le dit un proverbe africain, « quand tu ne sais pas où tu vas, regardes d’où tu viens ». Et il est vrai que l’histoire et la dynamique des BRICS apportent quelques éléments de réponse utiles à la réflexion sur la place respective de la Chine et de l’Inde dans le club ainsi que sur leur confrontation feutrée dès le départ. D’abord, la naissance de l’acronyme que j’ai vécue en direct à Hong Kong dans le contexte de la grande crise asiatique qui coïncida avec la rétrocession de Hong Kong à la République populaire de Chine. Contrairement à un certain mythe, la paternité du concept serait plutôt une maternité. Elle ne revient pas au chef économiste de Goldman Sachs, Jim O’Neill, qui a simplement validé l’étude Dreaming with BRICs : The Path to 2050 (1), conduite en réalité par une jeune économiste indienne en travail de thèse, sous la supervision du directeur de la recherche globale, Roopa Purushothaman.