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Chine - Inde : un tango qui menace d’éclatement les BRICS ?

Distinction importante car ce concept porte d’emblée la marque de l’Inde et doublement. Il s’agissait d’une part de relativiser le poids écrasant de la Chine qui sortait en grand vainqueur de la crise asiatique comme le montre son entrée rapide à l’OMC en 2001. N’oublions pas que les économistes de Goldman Sachs sont des économistes de marché qui ont pour vocation d’aider à construire des portefeuilles à haut rendement et donc à risque, et donc un minimum diversifié. Or, l’Inde sort plutôt épargnée elle aussi par cette crise en raison de sa relative fermeture économique alors que la Chine l’avait amortie grâce à un avantage considérable de compétitivité sur les autres économies asiatiques. L’Inde apparaît alors comme le joker chinois sur un plan strictement économique, et finalement le seul vraiment convaincant parmi les pays émergents en termes de masse démographique et de capacité de rattrapage vis-à-vis de la Chine.

C’est d’ailleurs à cette même époque que les économistes du Crédit lyonnais en Asie (CLSA) planchent sur l’hypothèse du binôme Chindia comme véritable locomotive pour l’économie mondiale. Un thème qu’on retrouvera au moment de la crise globale des années 2010 (2). D’autant que le déséquilibre initial Chine-Inde en termes de poids économique est marqué par une nouvelle impulsion de réformes en Inde sous la conduite du Premier ministre Manmohan Singh. C’est un homme fasciné par le décollage économique de la Chine qu’il visitera d’ailleurs dès 1993 dans le cadre d’un réel réchauffement des relations entre les deux géants asiatiques après trois décennies de gel suite à leur affrontement militaire en 1962, déjà sur la frontière himalayenne.

Le problème est que les économistes des pays émergents n’arrivent pas à acheter la fable du lièvre chinois et de la tortue indienne vendue par le CLSA, sauf éventuellement à très long terme, mais ils connaissent parfaitement l’adage de John Maynard Keynes : « À long terme, nous serons tous morts. » Un écart initial de puissance économique de 1 à 3 % comme en 2000 supposait en effet que le taux de croissance de l’Inde atteigne le triple de celui de la Chine sur au moins vingt-cinq ans pour la rattraper. D’autant qu’il s’agit d’une cible mouvante : la croissance chinoise a continué autour de 5-6 %. Par ailleurs, pour retourner aux BRICS qui se lancent cette fois sur un plan géopolitique en 2009, les perspectives économiques de la Russie et du Brésil ne sont pas vraiment brillantes, pas plus finalement que l’Afrique du Sud qui les rejoint deux ans après. Outre le conflit structurel entre blancs et noirs, l’épidémie de HIV conduit sa population à décliner d’ores et déjà. Il s’agit en fait de vieux pays émergents qui ne semblent pas de nature à séduire les marchés car à la fois risqués et assez rigides dans leurs structures.

Bref, l’attelage Chine-Inde paraît fortement déséquilibré pour de nombreuses années et le club BRICS masque une asymétrie économique évidente en faveur là encore de la Chine, et surtout pas comme un pôle économique alternatif. D’où une deuxième étude de la même équipe de Goldman Sachs publiée dès 2005 sous le titre How Solid are the BRICs ? (3), qui élargit le club initial à une nouvelle ligue de onze économies émergentes qui s’avère d’ailleurs être à peu de chose près la liste des actuels candidats à l’élargissement des BRICS, dont le Mexique.

Entre la Chine et l’Inde : quel rôle pour la Russie ?

Le positionnement particulier de l’Inde par rapport à la Chine, nain économique mais joker politique, est clairement le fil conducteur de la structuration cette fois géopolitique des BRICS comme le montrent son acte de création et les résultats des sommets successifs depuis 2009.

C’est au sommet d’Ekaterinbourg en Russie que se constitue le club sous la houlette de la Russie présidée alors par Dmitri Medvedev, mais sous l’œil vigilant de Vladimir Poutine qui assiste à l’ensemble de la conférence comme Premier ministre de la Fédération de Russie. Il y reviendra comme président en 2012 pour ne plus quitter ce poste jusqu’à aujourd’hui. Il n’est pas indifférent de noter que, du côté indien, le représentant est Manmohan Singh, plutôt américanophile mais fasciné par la Chine, comme on l’a vu, et entouré d’une technocratie civile et militaire encore largement russophile. Le Chinois Hu Jintao est pour sa part plutôt un tendre par rapport au futur Xi Jinping qui lance son propre programme des routes de la soie en 2014, un projet honni par les Indiens et qui fait de Taïwan un symbole clé de sa confrontation avec les États-Unis, là encore aux antipodes de l’Inde comme on l’a vu avec le soutien à la position des Philippines. Enfin, le Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva entame son premier mandat sur une ligne clairement anticapitaliste et tiers-mondiste. Mais il rejoint le club comme une caution démocratique aux côtés de l’Inde face aux deux puissances autocratiques.

Le lancement du club intervient dans un contexte international très particulier en ce sens qu’il comporte tous les ingrédients d’un front uni des émergents « contre » les Occidentaux et, surtout, contre leur chef de file américain qui est à l’origine de la grave crise financière de 2007-2008. Cette dernière va par conséquent se transmettre par contagion à l’ensemble du monde et frapper de plein fouet les économies émergentes dont les quatre puissances des BRICS qui demandent avec insistance depuis des années une réforme en profondeur de l’ordre économique international. La Chine et l’Inde, par exemple, n’ont toujours pas plus de 4 % des droits de vote au FMI contre plus de 15 % pour les Européens et toujours un droit de veto des États-Unis.

À propos de l'auteur

Jean-Joseph Boillot

Conseiller à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), auteur notamment de Chindiafrique, la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain (Odile Jacob, 2014).

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