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Pour une défense efficace Préparer l’avenir en choisissant ses batailles

Les technologies émergentes sont devenues un enjeu prioritaire pour la défense afin de prévenir des surprises stratégiques. Il n’est donc pas étonnant que la nouvelle Loi de programmation militaire annonce un budget de 10 milliards d’euros « pour l’innovation » sur la période 2024-2030. Ce chiffre est impressionnant a priori, mais est-il à la hauteur des enjeux ? Comment est-il possible d’utiliser au mieux ces ressources pour renforcer la défense de la France ?

Le potentiel militaire de technologies émergentes et de rupture est devenu un enjeu depuis quelques années. Lors du sommet de Vilnius en juillet, l’OTAN a ainsi rappelé l’importance de ces technologies incluant le big data, l’intelligence artificielle, les systèmes autonomes et les technologies quantiques. Cette prise de conscience amène les armées à chercher à investir non pas nécessairement sur l’ensemble du développement de ces technologies, mais certainement dans leurs applications militaires afin de les maîtriser et de se les approprier. Une attitude passive n’est pas envisageable, au risque sinon de manquer un tournant technologique et de mettre en péril la sécurité nationale.

Il n’est donc pas surprenant que le ministère des Armées consacre un budget croissant à la recherche et développement (R&D). Les 10 milliards d’euros annoncés ne sont d’ailleurs que la partie émergée de l’iceberg, car ils englobent uniquement de la partie industrielle de la recherche et technologie, c’est-à‑dire la partie amont de la R&D avant le développement (qui représente l’essentiel de ces dépenses). Ainsi, pour 2023 uniquement, le ministère des Armées va dépenser 8 milliards d’euros en R&D, dont un milliard consacré « à l’innovation ». L’effort est aussi impressionnant, car le budget de R&D de la défense a été multiplié par deux en une décennie alors que les autres pays européens y consacrent toujours des investissements limités.

La forte croissance des crédits R&D du ministère des Armées en France

Sources : Ministère des Armées, Projets de lois de finances

Cette évolution s’explique par un double effort qui s’avère complexe à maîtriser. D’une part, la R&D sert à améliorer des équipements qui sont déjà en service : standard F4 du Rafale, version XLR du char Leclerc ou missile MICA NG, par exemple. D’autre part, elle permet d’investir dans des systèmes et des technologies émergentes afin d’anticiper les moyens militaires de demain. La difficulté consiste à trouver la bonne allocation des ressources, car, même avec les budgets actuels, il n’y a jamais assez d’argent pour faire tout ce qui serait souhaitable. La question se pose aussi d’ailleurs aux États-Unis, bien qu’ils représentent la majorité des efforts mondiaux en R&D de défense.

Une course technologique mondiale

Sources : OCDE, CSIS (Chine) et FOI (Russie) pour 2021. En millions de dollars (en parité de pouvoir d’achat)

La France souhaite rester un acteur militaire de premier rang. Cela conduit à des choix cornéliens. À quels domaines allouer les crédits ? Et sur quelle échelle ? Pour éviter un déclassement militaire, il est important d’investir dans les domaines clés de demain pour jouer à armes égales avec nos adversaires, mais aussi aux côtés de nos alliés. Toutefois, la capacité d’investissement de la défense française est très limitée face au déploiement de ressources des autres puissances militaires.

Une domination américaine et chinoise indéniable pour les investissements privés en intelligence artificielle

Sources : Artificial Intelligence Index Report 2023, Université de Stanford, https://​aiindex​.stanford​.edu/​r​e​p​o​rt/

Dans cette course technologique à l’armement, le risque est d’éparpiller les efforts sur un spectre trop large de domaines. Comme le souligne le rapport « Seven critical technologies for winning the next war » (1), « quand tout est une priorité, rien ne l’est […] La solution pour progresser tient dans une priorisation implacable pour concentrer les efforts dans l’identification de cas spécifiques d’usage et dans la volonté d’investir dans des applications risquées qui peuvent ne pas répondre à un besoin précis, mais le pourraient au terme d’itérations.  »

Quand les ressources budgétaires sont limitées, il est contre – productif de vouloir être présent dans tous les domaines, car cela revient à n’être nulle part faute d’être capable d’atteindre le seuil d’investissement qui permet de suivre le rythme d’évolution de la technologie. Ceci est tout particulièrement le cas pour les technologies ayant un effet levier important, parfois définies comme des technologies intégratives. La valeur de ces dernières découle non seulement des réseaux qu’elles engendrent, mais aussi de la qualité de l’intégration qu’elles permettent entre moyens militaires. Investir dans de telles technologies permet ainsi un rendement croissant des dépenses militaires.

Cependant, les travaux d’Oren Setter et Asher Tishler (2) montrent l’existence d’un effet de seuil budgétaire pour les technologies intégratives en raison d’une fonction de rendement en S. Si le niveau d’investissement dans une technologie donnée est inférieur à un seuil minimal, ces dépenses ont un impact très limité. Il est donc nécessaire d’investir un montant dépassant ce seuil afin de pouvoir réellement bénéficier des avantages apportés par les technologies intégratives.

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