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Retrait américain d’Irak : quel avenir pour Bagdad ?

Donald Trump et le choix du désengagement

Le retrait américain ne concerne pas que l’Irak ; il est pensé dans une stratégie plus globale de désengagement du Moyen-Orient afin de poursuivre un objectif impulsé sous Barack Obama (2009-2017) en 2012 : le pivot vers l’Asie. Mais les questions sécuritaires dans la région et la lutte antiterroriste font que ce départ américain n’est pas vraiment mis en œuvre. L’arrivée de Donald Trump (2017-2021) à la Maison Blanche et sa décision de quitter l’accord de Vienne au printemps 2018 détériorent les relations américano-iraniennes, tandis que l’Irak devient le terrain d’affrontement de ses deux parrains. Le président républicain entame une prise de distance symbolique avec le Moyen-Orient avec la signature, le 27 janvier 2017, du Muslim Immigration Ban, un décret destiné à protéger les États-Unis de « terroristes étrangers » et interdisant l’entrée sur le territoire aux ressortissants du Yémen, de Syrie, du Soudan, de Libye, d’Iran, de Somalie et… d’Irak. Washington ne semble pas avoir d’objectifs clairs et déterminés à long terme pour ce pays. Donald Trump fait le vœu de retirer le plus rapidement possible les troupes : dès la fin de 2017, il s’engage à réduire leur présence de moitié après la victoire officielle de la coalition sur Daech en décembre, laissant toutefois stationner quelque 5 000 soldats pour empêcher la résurgence de l’organisation, qui reste active en Syrie voisine. Tout comme l’appui militaire, l’aide civile américaine est concentrée sur des problèmes à court terme, en accordant notamment la priorité aux minorités pour se remettre des massacres perpétrés par l’EI.

Les tensions avec l’Iran sur le sol irakien sont des plus vives. Les assassinats par des frappes américaines, le 3 janvier 2020, à Bagdad, du général Qassem Soleimani, chef des forces spéciales des Gardiens de la révolution (pasdaran), et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux des Unités de mobilisation populaire, réveillent un sentiment antiaméricain au sein de la population. Deux jours plus tard, le Conseil des représentants irakien vote une loi non contraignante pour le départ des troupes étrangères. Les oppositions kurdes et sunnites ont globalement voté contre ce texte afin de dénoncer l’ingérence de Téhéran dans l’appareil politique irakien.

Maintenir l’attention sur la présence militaire américaine et le souvenir de l’occupation permettent de noyer l’émergence d’un débat populaire profond sur les bénéfices d’une coopération États-Unis/Irak qui mettrait en péril les ambitions iraniennes. En ce sens, la principale erreur est américaine, puisque ­Washington a failli à définir de grands objectifs stratégiques réalisables pour favoriser la stabilité de l’Irak. Il n’y a pas eu d’efforts clairs de la part des Américains pour réformer un gouvernement irakien défaillant, stimuler l’économie locale ou s’assurer que les zones détruites par les combats soient reconstruites ou bénéficient d’une aide efficace. Les Américains ont en outre failli à démontrer au peuple irakien l’importance de leur présence et du rôle de leurs conseillers dans la défaite de Daech. Ce manque de communication et de reconnaissance a permis à l’Iran de s’appuyer sur le développement d’un sentiment antiaméricain et de s’immiscer dans les sphères du pouvoir.

Rien n’est toutefois acquis pour Téhéran, dont l’ingérence soulève une vague de protestation dès octobre 2019, portée par une jeunesse précarisée qui aspire à l’émergence d’un nationalisme irakien, au-delà des clivages entre sunnites et chiites. Le mouvement réclame la fin de la corruption et du système de répartition des postes par quotas ethniques et confessionnels. Durement réprimée, la mobilisation parvient néanmoins à contraindre le Premier ministre Adel Abdel-Mahdi (2018-2020) à la démission et aboutit à l’organisation d’élections législatives anticipées le 10 octobre 2021.

Un retrait symbolique, une nouvelle coopération

L’élection du démocrate Joe Biden en novembre 2020 n’a pas eu, dans un premier temps, grande conséquence sur la politique irakienne conduite par Donald Trump. Tous deux motivés par la mise en œuvre du pivot vers l’Asie, la décision d’un retrait militaire s’inscrit dans une série de facteurs dont le premier est la lassitude de l’opinion publique américaine, épuisée et usée par les multiples interventions menées depuis les attentats de 2001 (2). L’objectif est d’en finir avec les « guerres sans fin » de l’administration George W. Bush (2001-2009), qui ont coûté, jusqu’à l’année fiscale 2022, 8 043 milliards de dollars aux États-Unis et dont le coût humain se compte en milliers de vies. L’échec afghan et la prise de Kaboul par les talibans en août 2021 confortent le président démocrate dans sa décision de mettre fin à la mission américaine en Irak.

L’annonce du retrait par Joe Biden à l’issue de la signature, en juillet 2021, d’un accord avec le gouvernement Moustafa al-Kazimi (2020-2022) prévoit la redéfinition d’une nouvelle phase dans la coopération militaire entre les deux pays. Prise dans le cadre plus large des négociations sur le nucléaire iranien, la Maison Blanche souhaite donner des gages de bonne volonté à la République islamique. En réalité, 1 500 hommes restent engagés sur le sol irakien, dont le statut passe de « combattant » à celui de « conseiller ». Déjà depuis 2018, les soldats américains ne participaient plus aux opérations sur le terrain, mais occupaient des fonctions dans le renseignement ou dans les attaques de drones et les tirs de missiles depuis les bases de l’US Army. Demeure une coopération globale sur les questions de sécurité et de soutien à l’armée irakienne et aux peshmerga kurdes.

À propos de l'auteur

Louise-Marie de Busschère

Doctorante en histoire contemporaine, chercheuse associée au laboratoire « CRISES » de l’université Paul-Valéry Montpellier 3 ; ses travaux portent sur la politique étrangère française dans le golfe Persique.

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