Des pays du Golfe toujours rivaux
Aucun des pays du Golfe n’a réellement un intérêt dans cette guerre qui détruit le Soudan. En effet, tous observent et ont des relations cordiales avec les deux parties au conflit. Certes, il y a des nuances et chaque pays nourrit les siennes en fonction de son positionnement dans la Corne de l’Afrique ou de ses relations avec les autres pays du Golfe.
Les EAU
Par exemple, les Émirats arabes unis (EAU) sont très méfiants devant la mobilisation de milices « islamistes » liées à l’ancien régime qui jouent un rôle significatif dans les affrontements à Khartoum car, pour ces dernières, une victoire de Hemedti se traduirait mécaniquement par une purge d’ampleur des tenants de l’ancien régime qui, aujourd’hui, constituent une partie du premier et l’essentiel du deuxième cercle autour du général Burhan et la rétrocession des acquis financiers obtenus sous l’ancien régime. Mais choisir Hemedti pour cette seule raison semble improbable à cause de l’hostilité internationale (notamment au sein de la Ligue arabe et de l’Union africaine) envers ce personnage et du risque très probable d’une autre implosion en cas de victoire des RSF, au vu de l’hostilité populaire dans Khartoum et des combats sanglants au Darfour et au Kordofan. Un basculement n’est pas impossible mais suivrait une modification explicite de l’attitude des pays alliés de la Corne, i.e. l’Éthiopie, et une lassitude occidentale. On n’en est pas encore là.
Le Qatar
Pour le Qatar, la situation n’est pas symétrique même si la sympathie pour les islamistes soudanais ne s’est pas évaporée. Hemedti est détesté pour des raisons qui datent de la médiation de Doha sur le Darfour (2008-2011) et de l’hostilité rencontrée alors, mais aussi pour son positionnement pro-émirati pendant les dernières années. Soutenir Burhan, cependant, risquerait de provoquer un raidissement d’Abou Dhabi et peut-être de Riyad, à un moment où une réconciliation plus réelle prend forme entre ces capitales. De plus, la question des intérêts économiques reste irrésolue car tous les États du Golfe savent, pour avoir versé leur obole de nombreuses fois, que la situation économique au Soudan requiert des réformes systémiques et un accompagnement financier qui ne pourra être que celui des institutions de Bretton Woods. Encore une fois, le choix qatari ne peut se faire en fonction de la seule équation intérieure soudanaise.
L’Arabie saoudite
L’Arabie saoudite est dans une posture différente de ses deux voisins. Elle partage avec eux une hostilité à une construction démocratique au Soudan et a des relations cordiales avec les deux parties au conflit, même si elle a sans doute plus d’affinités avec le général Burhan qu’avec Hemedti, notamment à cause de ses liens très forts avec les responsables sécuritaires aux EAU. Mais, surtout après la normalisation avec Téhéran, l’ambition saoudienne est de montrer que Riyad a une capacité de gestion régionale, le Yémen n’ayant pas réellement convaincu. Peut-il y avoir aujourd’hui un hégémon dans cette grande région ? C’est un pari saoudien qui a pris la forme d’une association avec les seuls États-Unis pour l’obtention d’un cessez-le-feu à Djeddah et qui, pour l’heure, semble marquer le pas.
Un voisinage divisé ?
Si les pays du Golfe maintiennent une neutralité officielle, les pays voisins du Soudan sont pour leur part confrontés aux conséquences immédiates du conflit et ont souvent des avis plus tranchés sur cette guerre et la déstabilisation qu’elle pourrait entrainer à terme. Cependant, les postures adoptées ne peuvent s’analyser qu’en prenant en compte d’autres paramètres, d’abord l’attitude des acteurs internationaux occidentaux (États-Unis, Royaume-Uni, Union européenne, France, Allemagne) ou non (Russie, Chine) et l’inscription de ce conflit dans des rivalités régionales plus anciennes.
L’Égypte
L’Égypte joue ainsi un rôle cardinal. Le maréchal Sissi et le général Burhan se sont connus lors d’un stage de formation et ont développé une vraie relation personnelle. De façon générique, Le Caire ne veut pas entendre parler d’un régime civil et démocratique au Soudan qui menacerait sa stabilité. Le Caire est donc en faveur d’un pouvoir militaire à Khartoum. De façon plus prosaïque, d’autres raisons pèsent également. D’abord, au cœur de la difficile transition soudanaise se trouve la question de la place des militaires dans l’économie nationale. Omar el-Béchir donna aux officiers supérieurs la possibilité de diriger des entreprises, des banques, des sociétés de commerce, des fermes : bref, au Soudan comme en Égypte, on a une véritable « corporisation » des rangs supérieurs de l’armée au point que des sociétés « militaires » égyptiennes ont des actions dans les sociétés soudanaises et vice-versa ; une solidarité de castes en quelque sorte. Il y a donc des intérêts croisés qui font que le soutien au général Burhan est plus qu’idéologique.