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La diplomatie agricole chinoise au Moyen-Orient : une politique plus d’influence que commerciale

Pour la Chine, sa dépendance alimentaire fait partie des préoccupations. La logique productiviste qui gère son agriculture n’empêche pas les importations de progresser, et elle cherche à diversifier ses approvisionnements. La République populaire utilise également le secteur comme moyen d’influence auprès d’États demandeurs de coopération ; ils sont ciblés en fonction de leur potentiel agricole et de leur situation économique. Si elle affiche un excédent commercial avec le Moyen-Orient, elle porte ses efforts sur les échanges techniques dans un but politique.

La problématique alimentaire chinoise ne se résume pas à nourrir 18 % de la population mondiale avec 8 % des terres cultivées. Importatrice nette de produits agricoles depuis 2003, deux ans après son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la République populaire achète sur le marché international, car ses prix intérieurs sont souvent plus élevés, la qualité de ses produits est à l’origine de scandales sanitaires entraînant une défiance des consommateurs (locaux et étrangers) et un manque de savoir-faire limite les fabrications de certains biens (beurre, fromages, blé panifiable…). Pourtant, la Chine est un grand pays agricole et atteint la première place pour la production de blé, de riz, de pommes de terre, de fraises et de pommes, de viandes ovine et bovine, et la deuxième pour le maïs et la volaille. Mais l’adéquation de la qualité et des quantités des productions du pays aux demandes des consommateurs locaux pose un problème. La Chine est ainsi le premier importateur mondial de biens agricoles et alimentaires, tout en étant le quatrième exportateur, derrière l’Union européenne (UE), les États-Unis et le Brésil. Ses ventes approchent 100 milliards de dollars en 2022, en hausse de près de 60 % en dix ans.

Le volet agricole des nouvelles routes de la soie

Cette dépendance pèse sur les relations internationales chinoises et pourrait constituer une vulnérabilité vers l’objectif politique des dirigeants chinois de faire de leur nation la première puissance mondiale en 2049. La République populaire met en avant sa volonté d’être autosuffisante ou de maîtriser l’approvisionnement, pour ne pas dépendre de l’extérieur, d’autant qu’une part importante de ses importations provient de pays avec lesquels Pékin est en confrontation, comme les États-Unis, l’Australie ou le Canada. La stratégie chinoise pour limiter ces liens consiste à diversifier ses sources et à investir dans les exportateurs de produits dont elle a besoin.

Lancées en 2013, les nouvelles routes de la soie comportent un volet agricole qui permet d’accélérer cette stratégie de sécurité alimentaire. Au-delà des aspects purement commerciaux, la diplomatie agricole chinoise a ainsi bénéficié de cette initiative pour améliorer l’image du pays dans le monde. Avec la création de fermes de démonstration, d’investissements, de coopérations scientifiques, Pékin met en pratique sa diplomatie d’influence et cherche notamment de nouveaux alliés politiques grâce à la promotion d’une solidarité avec les pays en développement. Le déploiement de la coopération agricole chinoise dans des zones aux contraintes naturelles fortes vise à remplir trois objectifs : permettre aux territoires concernés d’augmenter leur production agricole afin de limiter leurs achats sur le marché mondial, facilitant les importations chinoises ; améliorer l’image de la Chine, souvent présentée comme « néocolonisatrice » à travers les achats internationaux de terres ; renforcer les liens politiques.

Sur le plan agricole, la Chine et les États du Moyen-Orient partagent de nombreuses similitudes. Confrontés à des contraintes naturelles en termes de production agricole, ils sont importateurs nets de produits agroalimentaires. Comme la République populaire, plusieurs régimes de la région ont investi dans l’agriculture à l’étranger pour assurer leur propre sécurité alimentaire. On peut citer l’Arabie saoudite (1), mais également l’Iran, qui ont développé cette stratégie dans des pays aussi divers que le Venezuela, le Kazakhstan, l’Ukraine, le Ghana, l’Azerbaïdjan… En outre, leurs préoccupations agricoles se recoupent parfois, comme la production en zones arides, l’irrigation et l’économie d’eau, le manque de ressources fourragères…

Un commerce agricole limité

Les relations entre la Chine et le Moyen-Orient sont centrées sur le commerce d’hydrocarbures. La région est le premier fournisseur de la Chine, Arabie saoudite en tête. Compte tenu de cette dépendance, Pékin souhaite maintenir un lien privilégié avec les puissances régionales, tout en gardant une attitude prudente sur le conflit israélo-palestinien. La relation commerciale agricole de la Chine vis-à-vis du Moyen-Orient n’est pas, comme dans la plupart des autres régions du monde, basée sur un déficit commercial, mais, au contraire, sur un excédent structurel. Elle exporte plus de produits agroalimentaires dans cette zone qu’elle n’en importe.

Les achats chinois en provenance des pays du Machrek ont augmenté ces dernières années. Alors qu’ils ne dépassaient pas 500 000 dollars jusqu’en 2018, ils ont atteint le milliard en 2020 et en 2021. Ils ont augmenté plus rapidement que les importations agricoles et agroalimentaires chinoises, mais ne représentent toujours que moins de 1 % de la valeur totale des achats chinois à travers le monde. Cette forte progression est essentiellement due au bond des exportations des Émirats arabes unis vers la Chine à partir de 2019. Après avoir décrété en 2018 un embargo sur les achats de canola canadien, en représailles à l’arrestation par le Canada de la directrice financière de Huawei, la République populaire a en effet trouvé un moyen d’obtenir l’huile végétale dont elle a besoin grâce à ses bonnes relations avec Abou Dhabi. Les Émirats arabes unis ont ainsi massivement importé des graines de canola pour les broyer et exporter l’huile vers la Chine (6 000 tonnes en 2017 et 400 000 en 2020).

À propos de l'auteur

Jean-Marc Chaumet

Directeur Économie du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), auteur de La Chine au risque de la dépendance alimentaire (avec Thierry Pouch, Presses universitaires de Rennes, 2017).

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