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La diplomatie agricole chinoise au Moyen-Orient : une politique plus d’influence que commerciale

En outre, la vision globale des exportations de la région est trompeuse, car sur les pays de la zone, quatre concentrent 99 % des ventes vers la Chine : les Émirats arabes unis (53 %), l’Iran (24 %), l’Arabie saoudite (12 %), Israël (10 %). Les produits les plus exportés sont, outre l’huile de canola, les poissons congelés et crustacés (Iran, Arabie saoudite) que la Chine consomme ou transforme avant de les réexporter, les pistaches et le safran (Iran), des préparations alimentaires (Israël).

La taille du marché chinois et sa croissance exercent un attrait certain sur de nombreux pays, encouragés par la politique de diversification des importations menée par les autorités chinoises, qui cherchent également à tisser des liens politiques plus forts. En 2022, la Chine a ainsi annoncé la mise en place de « couloirs verts » pour l’entrée de produits agricoles et alimentaires arabes. Elle utilise son marché intérieur, notamment agricole, comme un signe de bonne volonté et de marchandage dans les négociations commerciales. Mais l’ouverture est plus symbolique que réelle en termes de retombées économiques.

L’Iran est le deuxième fournisseur. Alors que les exportations de la République islamique de produits agricoles vers la Chine ne représentaient que 1 % des exportations totales du pays en valeur dans les années 2010, elles sont montées à 7-8 % en 2020 et 2021 grâce à la hausse des ventes de pistaches. L’Iran ne vend pas ses productions les plus importantes (blé, canne à sucre, tomate, pomme de terre, betterave, pastèque), car la Chine les produit également en grandes quantités. Les exportations devraient poursuivre leur ascension dans les années à venir compte tenu des accords commerciaux conclus en 2022, notamment pour les agrumes et le miel.

Produits secondaires, coopération, investissements

Les exportations chinoises de produits agricoles et agroalimentaires vers les pays du Moyen-Orient se chiffrent à près de 2 milliards de dollars depuis 2016, soit le double de ses importations de la région. Elles ne représentent cependant que 2 à 3 % des exportations chinoises de produits agricoles dans le monde, loin d’être un débouché majeur pour les entreprises chinoises, mais elles ont progressé un peu plus rapidement que les exportations totales (+ 76 % entre 2010 et 2022).

Compte tenu des problématiques communes entre la Chine et le Moyen-Orient sur le plan agricole, les exportations chinoises ne consistent pas en des produits alimentaires de base, comme les céréales ou certaines viandes, dont la Chine manque ou qu’elle garde dans ses stocks. Contrairement à l’Australie, à l’Argentine, à la Russie ou aux États-Unis, qui fournissent des céréales, ou au Brésil et à la Turquie, qui vendent des animaux, la Chine exporte surtout des préparations de légumes, de l’ail, des noix, de l’arachide et du tournesol. Les principaux clients de la République populaire sont les Émirats arabes unis (31 %), l’Arabie saoudite (16 %), Israël (13 %), l’Irak (8 %), l’Iran (7 %) et la Jordanie (5 %).

Après l’adhésion de la Chine (2001) et de l’Arabie saoudite (2005) à l’OMC, les exportations de produits agricoles chinois vers le royaume ont considérablement augmenté, au point de tripler, en particulier les exportations de légumes, de fruits et de noix, et d’huiles végétales. À l’inverse, les exportations chinoises vers l’Iran ont été divisées par trois depuis le pic enregistré en 2016 et 2017 et l’annonce en 2018 du retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien.

Si le commerce agricole entre la Chine et le Moyen-Orient est limité, la Chine mise sur la coopération agricole et les investissements pour développer sa diplomatie d’influence et créer, à défaut d’alliances, des partenariats dans une région où la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sont présents depuis longtemps. Elle considère qu’elle peut apporter une expérience et de la technologie compte tenu des succès agricoles qu’elle a connus ces quarante dernières années. L’objectif des autorités chinoises est d’aider les pays de la région à améliorer leur niveau de sécurité alimentaire et d’accroître leur capacité de production agricole. Pour la Chine, la coopération agricole est aussi le principal point de départ pour approfondir le partenariat stratégique sino-arabe ou la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies à l’horizon 2030.

La coopération agricole chinoise dans la région repose en partie sur les projets sino-arabes, qui dépassent les seuls pays du Moyen-Orient. En 2015 a été créé, au Ningxia, un Centre de transfert de technologie agricole sino-arabe, qui a établi des filiales à l’étranger, notamment en Jordanie, pour renforcer les échanges et la coopération. De nombreuses similitudes existent en effet entre les ressources naturelles et les types de développement agricole des pays arabes et des provinces chinoises telles que le Ningxia. La Chine compte également sur ces centres pour vanter ses technologies et ses produits agricoles. Ainsi à la suite de la démonstration et de la promotion de la culture des semences de légumes en Jordanie, les semences du Ningxia auraient pénétré 12 pays et régions du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Au Qatar, le groupe NAAAS a signé en 2020 un accord avec l’université chinoise du Ningxia et une entreprise chinoise pour introduire une technologie ainsi que des équipements d’irrigation numériques destinés à économiser l’eau. La plantation d’essai réussie de riz d’eau de mer chinois à Dubaï a également permis de promouvoir cette technologie dans la région.

En 2022, lors du sommet Chine-États arabes, les seconds se sont engagés à créer cinq laboratoires conjoints pour l’agriculture moderne et à mener 50 projets pilotes de coopération technique. Pékin a, de son côté, décidé d’envoyer 500 experts en technologie agricole dans les pays arabes pour les aider à augmenter la production céréalière, et à optimiser les capacités de stockage et à réduire les pertes alimentaires. Au-delà de ces annonces globales, sur un plan bilatéral, la coopération agricole entre la Chine et le Moyen-Orient est principalement concentrée en Arabie saoudite, en Iran et en Israël, tandis que les liens avec les autres pays comme la Syrie, le Yémen ou Oman sont limités en raison d’un développement agricole relativement restreint dans ces pays et de conditions de sécurité parfois difficiles.

Des échanges différents avec l’Iran, l’Arabie saoudite et Israël 

La Chine entretient des relations privilégiées avec l’Iran, pays riche en hydrocarbures et où la présence occidentale est limitée. Un premier accord de partenariat stratégique a été signé en 2000 et un second, global de vingt-cinq ans, en 2021 pour tenter de résoudre les problèmes économiques survenus à la suite des sanctions américaines. Le second texte englobe un large éventail d’activités économiques, y compris pétrolière, l’exploitation minière, le soutien de l’activité industrielle en Iran, le transport…

À propos de l'auteur

Jean-Marc Chaumet

Directeur Économie du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), auteur de La Chine au risque de la dépendance alimentaire (avec Thierry Pouch, Presses universitaires de Rennes, 2017).

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