Ces conflits hydropolitiques sont aussi externes dès lors qu’ils opposent différents pays riverains d’un même bassin. Le Moyen-Orient, qui a inspiré la notion de guerre de l’eau à la fin du XXe siècle, illustre ces conflits où l’irrigation agricole est de loin la composante la plus importante des usages de l’eau. Si la notion de guerre paraît excessive, il n’en demeure pas moins que des États se sont arrogé des volumes très importants d’une eau en partage. Peu importe leur situation sur le bassin hydrographique. La Turquie et l’Iran font certes le jeu par rapport à l’Irak et la Syrie, alors qu’ils sont en amont (totalement pour la Turquie sur l’Euphrate et de façon égale pour les deux sur le Tigre), mais Israël, en aval du bassin du Jourdain, dicte aussi sa loi à tous les acteurs (Liban, Syrie, Palestiniens) en amont. C’est donc le différentiel militaire qui est ainsi le facteur essentiel de cette « violence hydraulique » (3). Cependant, cette situation d’hydro-hégémonie peut se rééquilibrer comme le montre le bassin du Nil où l’Égypte, en aval, a pu longtemps pousser son accès à l’eau avant que l’Éthiopie, grand château d’eau du fleuve, ne fasse prévaloir ses intérêts depuis 2010 au travers de son projet de grand barrage de la Renaissance, aujourd’hui achevé et en cours de remplissage. Avec le changement climatique (4) et la poursuite de la croissance démographique, ces tensions hydropolitiques essentiellement d’origine agricole devraient s’accroître à l’avenir. Bien sûr, des solutions d’optimisation existent, aussi bien techniques, scientifiques que juridiques, mais elles restent suspendues en dernière instance au contexte politique et géopolitique.
Au vu de ces considérations à gros traits, il paraît indispensable de regarder le réel agricole et alimentaire à travers le prisme de la puissance et des rivalités de pouvoir. C’est une exigence pour la raison autant qu’une nécessité pour l’action.
Notes
(1) John Carrier Weaver, La Ruée vers la terre et le façonnement du monde, 1650-1900, Fides éditions, 2007.
(2) Pierre Blanc, Terres, pouvoirs et conflits : une agro-histoire du monde, Presses de Sciences Po, 2000.
(3) Pierre Blanc, Proche-Orient : le pouvoir, la terre et l’eau, Presses de Sciences Po, 2012.
(4) Pierre Blanc, Géopolitique et Climat, Presses de Sciences Po, 2023.
Légende de la photo en première page : Soldat colombien plantant un arbre. Annoncé en juin 2016, le cessez-le-feu définitif signé entre le gouvernement colombien et les FARC a mis fin à plus de 50 ans de guerre civile. Alors que la propriété et l’occupation des terres ont été au cœur de la guerre en Colombie, l’accès aux territoires riches en ressources, leur exploitation et la redistribution des terres aux populations déplacées par les conflits ont constitué l’une des questions critiques du retour à la paix. (© Shutterstock)