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La population de l’Allemagne et la loi géopolitique du nombre : vers une « double peine » ?

Confronté à un hiver démographique difficile à surmonter, l’Allemagne, qui profitait jusque-là de la loi du nombre sur la scène européenne, pourrait voir son dépeuplement être la cause d’une perte d’influence du pays à l’échelle du continent, mais aussi du continent à l’échelle mondiale.

Parmi l’ensemble des paramètres géopolitiques, il convient de ne jamais oublier la « loi du nombre » concernant l’effectif des populations que nous avons définie ainsi : « les décisions et évolutions géopolitiques, internes et externes, sont dépendantes du nombre des hommes et celui-ci influence à son tour les stratégies des acteurs géopolitiques » (1). Avec sa réunification, l’Allemagne en a largement bénéficié pour accroître son poids au sein des instances européennes. Depuis, l’intensité de son hiver démographique en a légèrement réduit les conséquences positives et interroge sur ses capacités géopolitiques futures, compte tenu de sa probabilité de dépeuplement et des évolutions démographiques de l’Europe dans son ensemble.

L’intensité de l’hiver démographique de l’Allemagne

L’organisation régionale née avec le traité de Rome de 1957, et qui a pris le nom d’Union européenne (UE) au début des années 1990, entend jusque-là conserver un parfait équilibre entre l’Allemagne et la France, qui disposent par conséquent du même nombre de sièges au Parlement européen. Il est vrai que leur nombre d’habitants est proche. Certes, l’Allemagne, dans les frontières de la République fédérale d’Allemagne (RFA) qui existèrent jusqu’au 3 octobre 1990, date de la réunification, est au départ plus peuplée que la France. Mais, au fil de la seconde moitié des années 1970, puis des années 1980, la croissance démographique de la France est nettement positive chaque année, alors que la population de la RFA stagne aux environs de 61 millions, avec même, certaines années, une légère baisse de sa population. Cela tient à deux causes. D’abord, la fécondité de la RFA est devenue inférieure au seuil de simple remplacement dès 1971, année donc de son entrée dans « l’hiver démographique », alors que cela n’a été le cas en France qu’en 1974. Ensuite et surtout, l’hiver démographique de l’Allemagne (RFA) s’avère beaucoup plus intense que celui de la France, avec, dans les années 1980, une fécondité toujours inférieure à 1,45 enfant par femme quand celle de la France demeure supérieure à 1,8 enfant par femme.

Compte tenu de ces dynamiques différenciées, dans les années 1980, personne ne songe à remettre en cause la parité de l’Allemagne et de la France dans le système décisionnel de la Communauté européenne.

Un changement structurel dû à la réunification

Un changement structurel intervint avec la fin du rideau de fer en 1989, et la réunification en 1990. La fin du rideau de fer voit des centaines de milliers de personnes de souche allemande (les Aussiedler) quitter l’URSS ou des pays d’Europe centrale ex-communistes pour l’Allemagne puisque la loi fondamentale de la RFA de 1949, équivalente à une constitution, leur en donne le droit. S’ajoute surtout l’adjonction du territoire et de la population de l’ex-RDA (République démocratique allemande) communiste. Au total, l’Allemagne gagne près de 18 millions d’habitants et voit donc sa population dépasser les 80 millions à une date où la France compte moins de 59 millions d’habitants, y compris avec ses quatre départements d’outre-mer faisant partie de la Communauté européenne.

Ce déséquilibre démographique Allemagne-France pouvait-il ne pas avoir de conséquences géopolitiques ? Ces dernières finissent par être actées par le traité de Nice, signé le 26 février 2001. En application de ce traité, l’Allemagne dispose alors de 96 sièges au Parlement européen, soit dix-huit sièges de plus que la France. Ce poids relatif nouveau de l’Allemagne engendre des conséquences géopolitiques qui s’accroissent au XXIe siècle au fur et à mesure de nouveaux traités. En effet, avant les années 1990, le Parlement européen avait, de jure puis de facto, un pouvoir essentiellement consultatif. Puis le traité de Maastricht (1992) instaure un système de codécision entre le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État ou chefs de gouvernement, et le Parlement européen. Ensuite, les traités d’Amsterdam (1997), de Nice et de Lisbonne (13 décembre 2007) augmentent le poids politique du Parlement européen avec l’extension des champs relevant d’une codécision et du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil européen.

Parallèlement au traité de Nice actant la fin de la parité de sièges entre l’Allemagne et la France au Parlement européen, une seconde étape est franchie avec le traité de Lisbonne qui énonce un système précis de vote pour l’obtention de la majorité qualifiée au Conseil européen. En effet, ce traité de Lisbonne (2) confirme une clause de vérification démographique, dont le principe avait été arrêté par le traité de Nice. Les pays membres de l’Union européenne, pour les décisions pouvant être prises à la majorité qualifiée, ont un nombre de voix proportionnel à leur population. Tout membre du Conseil peut demander que la majorité qualifiée nécessaire pour une décision représente au moins 65 % de la population totale de l’Union (3). Cette clause de vérification démographique suppose que quatre États (4) puissent constituer une minorité de blocage s’ils représentent au moins 35 % de la population de l’UE. Autrement dit, le traité de Lisbonne revient à acter que l’UE peut prendre toute décision obtenant une majorité qualifiée, mais cette majorité s’avère plus difficile si le pays disposant de la population la plus nombreuse, l’Allemagne, s’associe à au moins trois États membres permettant d’atteindre les 35 %.

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